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    Elle remonta les bretelles de son sac sur ses épaules avant de gravir la petite butte terreuse qui lui faisait face. Elle marcha jusqu'à la nuit tombée. Bredouille. Pas un arbre vivant en vue. Seule une vieille souche vermoulue depuis des lustres l'avait narguée en début d'après-midi.
    Certains animaux avaient réussi à subsister péniblement en se nourrissant des quelques traces de  nature. Puisant l'eau et les ressources où ils le pouvaient encore. Un tronc déchiré, un trèfle jauni. Les pluies étaient devenues acides aux abords des villes ravagées à cause des retombées nucléaires. Des gouttes brûlantes, corrosives, qui avaient longtemps cuit le sol jusqu'à le rendre stérile. Alors les herbivores furent les premiers à disparaître, puis ce fut le tour des carnivores qui avaient survécu un peu plus longuement en s'entredévorant. Les zones suburbaines, comme on se plaisait dorénavant à les nommer, avaient appris à filtrer l'air, l'eau et confectionnaient de la nourriture grâce à une farine issue des bêtes encore élevées et des plantes encore cultivées dans des serres placées sous haute sécurité.
    De nombreuses rumeurs couraient sur cette farine. Certains prétendaient qu'elles étaient le produit de clonages douteux sur les animaux et végétaux qui étaient récupérés par les « récolteurs » et les « chasseurs ». D'autres certifiaient carrément qu'il s'agissait d'un recyclage d'humains décédés. Mais rien n'était vérifiable, ni fondé.
        Plus que deux jours. Elle monta son bivouac, avala lentement la mixture protéinée de sa ration de survie. Une impression lancinante d'urgence la poussait à avancer encore.  Quelques ilots de verdure avaient pu être recensés dans des périmètres plus ou moins éloignés des zones suburbaines, mais le manque d'essence, de matière première avait vite découragé les Hommes dans leur exploration de leur nouveau monde. Seuls les « récolteurs » et les « chasseurs » se risquaient à braver les orages de cendres et de soufre pour cueillir leurs rares trésors. Et encore pas trop loin. Dans la limite du raisonnable. Du viable. Pourtant Hannah le savait, elle en était même persuadée, il y avait des secteurs à découvrir. Surement plus grands et plus purs que ceux que tout le monde connaissait déjà et pillait régulièrement en se tirant gentiment dessus.
    « Bordel ! » jura-t-elle soudain.
        Au dessus d'elle, à travers le brouillard jaunâtre, un croissant brisé émettait une faible lueur blanchâtre.
    « La... Lune ? C'est impossible... »
        Un frisson la parcourut. Elle n'avait jamais ressenti une telle excitation. Si la Lune était visible, c'était que la couche de pollution s'atténuait. Elle resta longtemps le regard perdu dans la direction de ce minuscule symbole, qui portait sur sa surface l'ensemble des plaies que les hommes avaient ouvertes en y larguant leurs bombes. Jadis.
        Dès les premières lueurs de l'aube, elle était prête à repartir. Toute la matinée, elle grimpa avec une énergie renouvelée, le regard aiguisé, jusqu'à atteindre un col perdu dans la brume. Un cri  s'échappa de ses lèvres.
        Le brouillard s'était dissipé par endroits. Devant elle, telle une apparition miraculeuse, se dressait une vaste étendue de verdure comme si elle avait été préservée en secret depuis des siècles à l'écart des Hommes. Intacte et sauvage. Les deux hauts portiques qui en marquaient l'entrée semblaient êtres les gardiens de cet univers improbable. Il suffisait d'un pas pour basculer d'un monde à l'autre.

    Background inertiak and alfastock on Deviantart

     

    Au risque de se blesser, elle courut le long des marches de pierres irrégulières pour rejoindre la zone. Elle se laissa tomber dans l'herbe fraîche, encore mouillée de la rosée matinale, ses yeux bruns rivés sur un bosquet de quatre ou cinq arbustes d'une espèce inconnue. Le ciel était si bleu, l'air paraissait si pur, qu'elle se risqua à ôter son masque. Ses poumons s'emplirent d'un oxygène capiteux dans une grande et profonde inspiration. Elle ne suffoquait pas. Elle était toujours en vie. Elle put alors, le sourire aux lèvres, détailler la végétation qui l'entourait. A droite, elle reconnut un jeune pommier qui tendait ses premières branches vers la lumière. Elle tressaillit. Il était à la limite du transportable. Si elle parvenait à remonter au col avec, c'était bon.
    « J'ai hâte de revoir ta sale tête, Luigi! » exulta-t-elle.

    Background Flokvangar on Renderosity

     

    Avant de s'attaquer au petit fruitier, la jeune femme s'approcha des autres arbustes. Elle étudia de près leur écorce, leurs feuilles. Trois d'entre eux donnaient des fruits à la peau violacée et rugueuse. Elle tendit la main et en ouvrit un en deux. Le sirop s'écoula le long de son bras, s'irisant d'effets étranges sous la lueur du soleil. Elle sentit un infime picotement sur sa peau lorsqu'il atteignit une  plaie qu'elle s'était ouverte en trébuchant la veille. Sa chair rosée exhalait une odeur de miel qui aiguisa son appétit. Par prudence, elle n'osa pas le goûter. Elle sortit alors de son sac de quoi prélever des échantillons de feuilles, de fruits, d'écorce, et quelques surgeons à replanter. Déraciner le pommier sans l'abimer lui prit plus de temps, mais elle ne sentait plus la fatigue. La joie de sa découverte la galvanisait.

    « 0305 »

  • Commentaires

    1
    Samedi 31 Juillet 2010 à 17:08
    C'est trop beau cet endroit. Par contre ça craint si elle vient juste pour piller les plantes, je trouve ça con. Mieux vaudrait le laisser dans son état.
    2
    SheZeve
    Dimanche 1er Août 2010 à 19:36
    Punaise elle devrait garder l'endroit secret...Parce qu'en pillant ces specimens inconnus, elle va sûrement éveiller les soupçons. Les images sont magnifiques, ça fait un énorme contraste avec ce qu'on a vu depuis le début !
    3
    simorette
    Dimanche 1er Août 2010 à 22:38
    c'est presque trop beau pour ne pas cacher un coup fourré... pese comme Shez : cet endroit paraît chargé de promesses et d'espoir... j'espère que ça n'est pas qu'une illusion !!!
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    4
    Lundi 2 Août 2010 à 11:14
    Oh, quel magnifique jardin d'Eden !
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