• 04

    Dès le lendemain, elle le retrouva au fond du potager, en train de ramasser des haricots. Sans un mot, elle s’installa dans la rangée d’à côté et commença à l’aider. Lorsqu’ils eurent terminé, il se redressa en se tenant les reins et lui sourit.
    « Votre mère venait toujours m’aider quand elle était petite, elle aussi. Elle aimait tellement cet endroit!
     - Alors, pourquoi ma mère a-t-elle coupé les ponts avec son grand-père alors ? »
        Le jardinier soupira, jeta un coup d’œil vers la cuisine de sa femme et s’assit sur le banc.
    « Assieds-toi, petite ! j’espère que ça ne te gêne pas, que je te tutoie, mais tu ressembles tellement à ta mère, que j’ai l’impression de la retrouver. On a eu tant de peine quand on a appris cet accident… Enfin, elle a vécu heureuse, hein ?
     - Très heureuse avec mon père, je crois… Mais que s’est-il passé ici ?
     - J’espère que ça ne te fera pas fuir, mais si tu es là, c’est qu’elle ne t’a rien dit. Elle n’a pas eu le temps… Toutes les femmes qui héritent d’ici finissent folles… La mère du vieux baron s’est suicidée, ta grand-mère est morte dans un asile d’aliénés… Et ce n’est que la fin d’une longue série… J’adorerai te garder ici avec nous, mais je préférerais te savoir vivante et loin…



     - C’est une plaisanterie ! Et c’est pour ça que ma mère est partie ? Pour une histoire de… de quoi d’ailleurs ?
     - Ta mère est partie parce que le vieux baron a voulu lui transmettre l’héritage à la mort de Blanche, ta grand-mère. Il disait qu’elle aurait la force d’esprit de vaincre la malédiction… Ta mère a tenu quinze jours, puis elle a refusé de rester au manoir. Elle est partie faire des études et n’a jamais accepté de revenir ici.
     - C’est quoi, cette malédiction ? Qu’est-ce qui les a rendues folles ? »
        Henri baissa la voix, jetant un regard furtif autour de lui.
     - Il y a un revenant qui hante les héritières du château…  Si tu commences à entendre des voix, suis l’exemple de ta mère, et fuis loin d’ici… Laisse tout tomber ! Zut ! Voilà Louise ! Pas un mot de tout ça, promis ?
     - Promis… »
        Anxieuse, Emilie partit se promener vers le petit bois qui jouxtait la propriété. Toute cette histoire lui aurait semblé être un tissu d’âneries si elle n’avait déjà entendu cette fameuse voix… Et vu cette silhouette… Elle s’allongea dans l’herbe et ferma les yeux quelques instants.

    « Hé ho ! Réveillez-vous ! Tout va bien ? »
        Emilie ouvrit les yeux et se redressa avec difficulté sur les coudes.
    « Oups ! Je crois bien que je me suis endormie ! murmura-t-elle.
     - Et sur la propriété de mes parents ! fit la voix masculine rieuse derrière elle. Quel joli tableau d’ailleurs ! »
        Elle secoua la tête, l’esprit encore engourdi et observa avec attention l’inconnu qui lui souriait d’un air charmeur, adossé contre un arbre. L’homme n’avait sans doute pas plus d’une trentaine d’années et ses yeux gris pétillaient de malice. Il s’avança en lui tendant la main et elle la prit pour se relever.
    « Marc Masevaux, j’ai passé l’inspection ?
     - Tout à fait ! rétorqua-t-elle avec amusement. Vous n’avez pas l’air d’un croque-mitaine. Je suis Emilie Coulonges, je faisais le tour du manoir et j’ai bien peur d’ignorer les limites de ma nouvelle demeure.
     - Nous sommes donc voisins ! fit-il d’un air songeur. Vous êtes l’héritière ?
     - Et je n’ai pas peur des fantômes !
     - On vous a donc raconté la malédiction ? Et vous n’avez pas fui ? »
        Emilie éclata de rire.
    « En fait, on m’en parlé après que j’ai accepté de venir habiter ici… C’était trop tard, non ?
     - En tout cas, si vous voyez un revenant, faites moi signe ! Je suis historien médiéviste, et j’aurai des tas de questions à lui poser ! Bref ! J’étais venu porter "ça" à la vieille Louise de la part de ma mère… fit-il en désignant un panier de champignons.
     - Je lui donnerai si vous voulez ! proposa Emmy, et Marc accepta d’un air soulagé.
     - Merci beaucoup, aujourd’hui je suis très pressé, je dois ramener mes nièces à la gare. Elles ont quatorze et seize ans et nous en ont fait voir de toutes les couleurs ! Je suis bien content de les rendre à leurs parents ! Mais à très bientôt, jolie voisine ! »

    Il disparut dans le bois et Emilie secoua la tête : un héritage, une malédiction, un fantôme qui appelle à l’aide et un voisin charmeur… Et charmant ! Ça faisait beaucoup, quand même !

    « 0305 »

  • Commentaires

    1
    SheZeve
    Jeudi 7 Mai 2009 à 18:41
    Ca fait beaucoup, tu m'étonnes ! Mais c'est palpitant ^^
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