•   Paul, il n'y a que Paul qui puisse m'aider. J'en ai pas fermé l'œil de la nuit, je ne sais même plus où j'ai dormi d'ailleurs, je ne crois pas que c'était chez moi car j'avais trop peur de la chose qui me poursuit... Peur de ne plus me voir une nouvelle fois dans le miroir. L'image ensanglantée du rat me revient sans cesse... Je ne me rappelle du début de cette journée qu'à partir du moment où une voiture m'a klaxonné avant de traverser le parc. Comme si elle me tirait d'un rêve sans fin (la margharita finalement aurait fait plus d'effet que ce que je ressentais ?)... Non, pas d'un rêve... Plutôt comme si ce bruit m'avait ramené dans un corps que mon esprit aurait déserté plusieurs heures.

      J'hésite un peu à sonner chez Paul. En fait je suis venu pour lui dire quoi ? Je sais même pas. Toute cette histoire est tellement bizarre, il va juste me prendre pour un malade. Il n'aurait même pas tort en plus.

      Je reste là, devant la porte, les bras ballants. L'espace d'un instant je me sens perdu. Repartir ? Entrer ? Je ferme les yeux et je décide de laisser mon instinct me guider. Si je me retourne, je pars, sinon... Trop tard. J'ai sonné. Les jeux sont faits. Ça me fera du bien de parler de tout ce bordel avec quelqu'un.

      Personne ne répond.

     Je re-sonne. C'est vrai qu'on est dimanche, c'est vrai aussi qu'il est huit heures, qu'il doit sûrement faire la grasse mat... Il va me haïr, mais c’est vraiment un cas de force majeure…

    J'attends.

    Dernier coup de sonnette.

      Et puis je me rappelle que ce taré de Paul ne ferme jamais sa porte à clef, sous prétexte qu'il est à la campagne et que ça craint rien dans son coin. Alors je pousse la porte.

    Elle s'ouvre en grand. Tout semble calme.

      Je tends la jambe pour entrer. Quelque chose m'arrête dans mon mouvement. Quelque chose d'extérieur. LA Chose. Comme si un mur invisible m'empêchait d'entrer à l'intérieur. Je pose ma main sur cette barrière.

    15 - Dimanche matin

      Ma peau frissonne, comme glacée. Je sens un souffle me parcourir les épaules. Un hurlement s’étrangle dans ma gorge.

    Je repars. En courant. Je crois entendre la voix de Paul m'appeler depuis la porte. Mais c'est trop tard, je ne peux plus faire marche arrière. Je ne le veux plus.

      Là, maintenant, j'ai vraiment peur.


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  •  Lorsque j’ouvre les yeux, il fait nuit noire. Un bref coup d’œil à ma montre me confirme qu’on est plus proche de minuit que d’onze heures. Bordel ! Je ne sais même pas où je suis. La journée d’hier est confuse dans ma tête. Sensation de malaise, de fatigue, de chaleur insupportable. Et la lumière du soleil semblait me brûler même à travers de mes trois épaisseurs de vêtements. Qui m’embarrassent d’ailleurs. Je me débarrasse avec volupté de ma doudoune. Je me sens tellement bien maintenant, comparé à ces derniers jours. Tout me semble plus évident, tout coule de source. Je me suis planqué au cœur du parc, sous les buissons les plus épais. Un doux murmure parvient à mes oreilles. Le même que toutes ces nuits. Mais cette fois, je le comprends.

    « Viens, Sandro ! Viens à moi ! »

      Je perçois un léger mouvement aux confins de mon champ de vision. Une ombre furtive que j’aurai dû découvrir plus tôt si je m’étais vraiment concentré. Surtout que… Il n’y a pas un réverbère dans le coin et j’y vois comme en plein jour. Ce doux parfum…

    Je me lève instantanément pour suivre cette fragrance qui ne m’est pas inconnue.

    Elle m’attend, tranquillement assise sur un banc public. Eleonore.

    16 - Dimanche soir

     « Bonjour, Sandro. Maintenant, on va pouvoir être ensemble ! »

    J’ai l’impression qu’un voile de brume se déchire enfin. Tout me revient.

      Ce fameux soir. Au bar. Je suis resté plus longtemps que les autres. Je me sentais bien. Dès que Paul est parti, je l’ai vue. Seule à sa table. Fascinante. Et qui me dévorait de ses yeux gris pâle. Je lui ai offert un verre. On a discuté. Elle semblait tour à tour gênée et exubérante. On a dansé. Son parfum m’a envoûté. On s’est embrassé. Je n’avais qu’une envie, l’emmener chez moi, chez elle, où elle voudrait. Elle m’a souri en se blottissant dans mes bras. Je l’ai invitée à prendre un dernier verre. Ses yeux se sont mis à briller mais elle a hésité. J’ai insisté.

    « Alea jacta est ! » a-t-elle murmuré avant de prendre ma main. Dans le parking, elle a voulu m’enlacer, m’a embrassé doucement dans l’épaule. J’étais au Paradis. Je le lui ai dit. Puis le baiser est devenu morsure. Elle a étouffé d’une caresse mon cri mêlé de douleur et d’extase. Avant de me ramener chez moi.


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  •   J'accepte enfin qui je suis, grâce à Eléonore. Elle m'a appris les gestes, les précautions, la chasse.

    Je ne suis jamais allé voir ma toubib.

    Je n'étais pas malade.

    Je n'étais pas fou.

    Juste, je changeais. De l'intérieur.

      Beaucoup de choses me sont revenues en tête maintenant que je sais. J'ai fini par analyser l'anamnèse de mon mal, la comprendre et la rassembler comme les pièces d'un puzzle complexe qui ne devient évident qu'une fois celui-ci terminé : mon envie de viande grandissante, de viande rouge saignante, l'odorat exalté, la ratatouille bourrée d'ail de ma mère, les coups de soleil, le froid que je ressentais en plein été, la vie que je pouvais prendre des fleurs de Mélina et des choses qui m'entouraient, mon image disparue dans le miroir, le fait que je n'ai pas pu entrer chez Paul car il ne m'y avait pas invité... Tout cela était si clair aujourd'hui... Mais comment aurais-je pu y croire ? Y auriez-vous cru, vous ?

      Nous sommes embusqués dans le parc ce matin. Un vampire peut sortir le jour. Il suffit juste qu'il soit bien couvert. C'est bien le jour, cela permet de repérer ses proies. Le parc est une zone de passage, nous en choisissons deux chacun notre tour et nous les suivons, jusqu'à la nuit tombée. Ce n'est pas très moral de prendre ainsi des vies, mais j'ai arrêté de bouffer du rat. C'est pas bon le rat.

      Après tout, je ne suis plus humain désormais ! Alors, prendre un homme ou une femme pour repas c'est comme prendre un animal, un steak ou toute viande dont j'ai pu me gaver, dont vous vous gavez quotidiennement.

    Eléonore se baisse brusquement. A l'affût. Une odeur merveilleuse envahit mes narines. L'odeur du repas du soir.

      Doucement, j'écarte le feuillage du buisson pour visionner mes proies.

    17 - Epilogue

    Mélina et son copain ? Un sursaut d'humanité revient du fond de mon âme. J'hésite un instant en plongeant mon regard dans le gris acier de celui d'Eléonore.

    - On ne la vide pas. Pas elle. On la transforme. Comme nous. Juste l'apéro quoi...

    Eléonore me sourit. Je lui rends son sourire.

    Mélina aura de nouvelles aventures à raconter !


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  • Tadaaaam, l'Atelier n'est pas abandonné, nous sommes toujours vivantes! Nous voici de retour, Link et moi avec une petite nouvelle, écrite comme il se doit au mois de juillet. Ca a commencé sur la terrasse de chez mes parents malgré la chaleur, ça a continué par mail et en dix jours, l'écriture à quatre mains était bouclée. Soit, me direz-vous, mais on est en décembre...

    Ben oui, mais j'ai pris un peu de retard en m'enfouissant toute seule sous plein de projets! Et j'ai un peu laissé de côté l'illustration. Mais j'ai réussi à terminer avant 2014, champagne!

    En tout cas on espère que ça vous a plu autant qu'à nous.

     


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