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  • 01

     
    Il se tenait debout. Près de cette fenêtre dont le carreau n’avait plus qu’une transparence trouble et brumeuse. Envahi de la fumée qui se collait avec la poussière entre chacune des fibres du verre. Prisonnière.
    Il était nu encore. Le corps moite de cette nuit sans sommeil qui restait imprimée sur sa peau avec cette culpabilité, cette fièvre. Cette odeur. Il pressa plus fort le papier qu’il tenait entre ses doigts. A le déchirer.
    La fumée s’échappait des lourdes cheminées qui encombraient le sol. Dissimulant sous la vapeur les derniers aspects colorés d’un ciel que l’on ne pouvait deviner qu’à cette heure de la journée.
    Entre l’éveil et la vie.
    Une vie faite de poursuites. Une vie menée dans le but de maîtriser ce qui ne pouvait que continuellement le fuir.
    Bryce esquissa un sourire léger. Presque un rictus. De son visage d’ange, qui gardait la candeur trompeuse des traits de l’enfance, brillait un regard noir qu’il jeta une dernière fois au-delà des nuages.
    Il déposa un baiser sur la boule de papier que la moiteur de sa main désagrégeait mollement. Mais, un enfant, cela faisait des années qu’il n’en était plus un. D’un geste vif et routinier, il la lança dans les braises rougeoyantes de la cheminée.
    C’est là qu’il empoigna son pantalon. A moitié englouti sous les coussins abandonnés au bas du lit. C’est là qu’il saisit sa veste, égarée au sommet d’une armoire, sans qu’il se souvienne véritablement du geste qui l’avait projetée à cet endroit. Et reconstitua ainsi pendant plusieurs minutes les pièces d’un puzzle vestimentaire éparpillé dans des endroits parfois si saugrenus que certains d’entre eux lui arrachèrent un sourire.
    Il achevait tout juste de s’habiller, lorsque des coups retentirent vivement à sa porte.
    - Capitaine ! Capitaine ! hurlait un homme, elle a recommencé !
    - Patientez une minute, Second Maître Fécamp, je suis presque prêt. Quoi donc ? Qu’a-t-elle recommencé ?
    - La Comtesse des Aiglefins. On dit qu’elle irait revendre sa marchandise de contrebande à la Taverne du Moussaillon vers 15 heures...


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  • 02

    Il ouvrit la porte à la volée. Un jeune homme brun, de belle allure, pénétra dans la cabine du Capitaine des Jardins aux Oiseaux.
    - Qui t’a informé, Elros ? Interrogea Bryce d’un ton distant.
    - Vous n’étiez pas seul, Capitaine... ‘Scusez de mon intrusion... s’esclaffa le jeune homme d’une voix coquine qui rendait son visage piqueté de tâches de rousseur plus malicieux encore, je ne voulais pas vous déranger. Vous exprimerez auprès de la lady qui vous accompagnait tous mes plus profonds...
     
    - Je suis seul Elros, coupa Bryce agacé, qui t’a informé ?
    - Ankor. J’ai réussi à me faire engager sur l’Albatros. Il doit la rencontrer pour l’échange cet après midi.
    - Comment as-tu réussi à te défier de sa surveillance ? Ankor est prudent. Et méfiant.
    - Je suis plus malin que vous ne le pensez, Capitaine.
    Bryce détailla quelques instants le visage espiègle de son jeune acolyte. Une onde tranquille flottait au fond de son regard clair, avant qu’une flamme ne l’éclaire subitement d’une étincelle malicieuse. Presque mutine.
    - Vous allez vous y rendre ?
    - Ne te fais pas repérer. J’ai encore besoin de tes informations, Elros. Je t’ai mandaté pour infiltrer l’un de ces vaisseaux pirates. Et je suis mandaté par le gouvernement pour interrompre ces actes de piraterie. Evidemment que je vais m’y rendre.
    - Et vous arrêterez Madame la Comtesse des Aiglefins ?
    Quelque chose d’étrange vibra dans les iris sombres de Bryce des Jardins aux Oiseaux. Un sentiment indescriptible qui mêlait autant de détermination que de tension. De résignation. Et tout se bousculait en lui. Scellé en une seule et même émotion.
    - Sortez, Elros. Je vous retrouve à 15h à la Taverne des Moussaillons.
    Le jeune homme s’inclina rapidement avant de s’envelopper le visage dans une lourde écharpe de laine élimée pour quitter la cabine du chef de la police.
    - Arrêter la Comtesse des Aiglefins ?
    Bryce secoua la tête avec un rire amusé. Il se servit un verre de vin, du fond d’une bouteille oubliée au coin de son bureau. Il observa le jeu de lumière qui se formait à sa surface en le faisant tournoyer à la lueur des bougies. Le regard pétillant des songes qui étaient en train de le peupler. Et le but d’un trait. Comme un hommage. Une trinque à laquelle il se préparait.
    - Non... T’arrêter gâcherait le plaisir que j’ai à te poursuivre, Carolyn des Aiglefins... murmura-t-il les yeux fixés sur la porte qui venait de se refermer.



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  • 03

    La Comtesse Carolyn des Aiglefins.
    La plus tenace, la plus dure, la plus féroce de la bande de pirates qui peuplait les airs de leurs dirigeables corsaires. Flottant au dessus de cette atmosphère plombée. Noire. Etouffante d’une modernité que l’Homme n’avait pas su maîtriser et dont le développement incessant se répandait, tel un mycélium, sur l’ensemble des terres. Annihilant tout.
    Malgré la volonté de l’humanité de se percher chaque fois plus haut, le réseau obscur de vapeur, de charbon, s’étendait... Divisant ce monde en une terre du haut... Une terre du bas... Et rien ne devenait alors plus précieux que l’eau. L’air... Ces éléments qui se raréfiaient et que quelques uns avaient eu la présence d’esprit de recueillir. D’anticiper... Les rechercher à leur source, chaque jour plus loin encore... Dans ces ballons de contrebande où chacun s’alliait pour mieux se détruire...
    Carolyn des Aiglefins avait été plus que la première à exercer cette revente d’oxygène et de pluie qu’elle fournissait à prix d’or à ceux qui vivaient encore en bas. Carolyn des Aiglefins était la meilleure. Elle maîtrisait le ciel comme d’autres cherchaient à maîtriser le monde. N’ayant pour seul homme de confiance qu’un robot dont l’identité était définie par deux lettres et un numéro. RV1255. Des engrenages qu’elle préservait de la rouille avec une attention qui parfois frisait l’ambigüité. Plus qu’une machine, presque un compagnon.
     


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  • 04

    Tels étaient les éléments de sa légende. Celle d’une femme. Une femme rebelle. Une femme qui avait sacrifié sa beauté au service de la piraterie. Une femme dont la noblesse transpirait chacune des pores de sa peau... Et dont la seule vue inspirait d’elle-même le respect. La soumission... Selon les dires de ceux qui prétendaient l’avoir rencontrée.
    Un parfum de mystère l’enveloppait, comme la fumée des cigares dont l’odeur l’imprégnait jusque dans les boucles noires de sa chevelure.
    Capitaine des Inconscients...
    La Lady borgne...
    La défigurée...
    La Comtesse des fous...
    Il ne se comptait plus de surnoms qui ne lui avaient été donnés pour définir ce qu’elle était. Mais qui pouvait encore se gausser de l’avoir réellement vue... De l’avoir réellement connue...
    Aussi insaisissable que l’air dont elle avait fait son élément... Aussi éphémère que la fumée du tabac qu’elle laissait se consumer sur ses lèvres. Elle s’évaporait. Pour mieux recommencer...
     


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