• 15

    « C'est de ma faute. » murmura-t-elle en entendant les pas de Max derrière elle. « Luigi est le premier à qui j'ai montré l'échantillon. C'est moi qui l'ai guidé jusqu'ici. »
        Le chercheur s'approcha, posa un bras sur son épaule et observa la situation d'un air absent.
    « Non, ce carnage n'est pas de ta faute. Toi, tu as eu l'intelligence d'étudier avant d'arracher. Nous avons eu de la chance que ce soit une fille dans ton genre qui trouve l'endroit en premier. Ton Luigi va rapidement déchanter. Il y a peu de chance que son butin lui rapporte quoi que ce soit. Les arbustes vont crever. Comme dans ma serre.
    - Qu'il s'étouffe avec ses souches ! cracha Hannah essuyant ses yeux d'où une larme tentait de s'échapper.
    - Remercions-le, plutôt... »
        Elle se dégagea de son étreinte et le dévisagea comme s'il était devenu fou.
    « Nous devions approfondir notre étude du sol, il nous a facilité la tâche. Regarde, il nous sera bien plus facile d'aller voir ce qu'il y avait en dessous des racines...
    - Et il a laissé tous les fruits tombés à terre... murmura-t-elle, un peu rassérénée par son optimisme.
    - Bien vu, donc nous aurons des graines. Tu préfères t'occuper des fruits ou creuser ? »
        Ils creusèrent jusqu'à la tombée de la nuit, acharnés, ne s'interrompant que lorsque l'obscurité fut totale, et leurs membres trop douloureux pour en supporter davantage. Ils s'endormirent alors à la belle étoile, le corps étendu dans l'herbe fraîche pour profiter pleinement de la pureté de l'air.

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    « Max... Max ! MAX ! »
        Le botaniste sursauta. Hannah l'interpelait avec véhémence, une pelle à la main, au milieu du chantier qu'ils avaient laissé en plan la veille.
    « Pourquoi ne m'as-tu pas réveillé avant ? marmonna-t-il en se penchant au bord de l'excavation.
    - J'ai trouvé quelque chose ! Tu ne devineras jamais ! C'est... C'est tout bonnement... Allez, descend ! »
        Il obéit rapidement sans remarquer son air soucieux.  
    «  Regarde, désigna-t-elle circonspecte, je n'ai pas pu descendre plus bas. Je suis bloquée. »
        Max se pencha et lissa du plat de la main la terre qui recouvrait encore ce qui semblait être une épaisse dalle de béton.
    « - Étrange, murmura-t-il, les racines paraissent pourtant émerger de cette dalle... On dirait le toit d'un ancien bunker... »
        Il se tourna à droite et à gauche, concentré sur les détails de la végétation environnante.
    «  S'il y a un bunker c'est qu'il y a une entrée quelque part. Et nous allons la trouver. »
        Ils atteignirent l'embouchure après une demie journée de recherche. Cette dernière était flanquée dans une cavité que les herbes folles et les racines des arbres avaient finies par recouvrir avec le temps. L'intérieur était très sombre mais semblait encore bien conservé. Comme s'ils étaient les premiers êtres vivants, hormis les éventuels lapins ou renards qui devaient traîner dans le coin, à pénétrer dans cet ancien lieu de guerre. La descente leur parut interminable. De vastes escaliers rectilignes les firent déboucher dans un labyrinthe de corridors qui aboutissait à un réseau de salles étranges. Encore peuplées des traces des militaires qui y avaient logé. Comme s'ils n'avaient pu abandonner les lieux à temps. Mais la plupart des objets étaient inutilisables, recouverts d'une épaisse couche de mousse qui exhalait une odeur âcre de moisissure et de décomposition. Après quelques centaines de mètres, ils rejoignirent une très haute salle envahie de racines qui perçaient le plafond par endroits. A bout de souffle, ils s'arrêtèrent net. N'osant croire ce qu'ils voyaient à travers le pâle faisceau de leurs lampes torches.
    « Hallucinant ! » répéta Max à plusieurs reprises. « Réellement hallucinant... »
        La lumière courut rapidement le long d'un immense objet oblong crevé de racines qui jaillissaient de l'ensemble de son corps métallique. La preuve était sous leurs yeux.
    « Des bombes... souffla-t-il, incrédule. Des épaves de bombes nucléaires... »
        Il sortit un petit compteur Geiger de son sac.
    « Les radiations sont très faibles, mais sans elles, la plante ne se développe pas... Fascinant... Comme si le missile était un tubercule qui germerait en terre...

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    - Mais... Ça ne risque pas de nous éclater à la gueule ce machin ?
    - Non, c'est désamorcé... On la tient, notre solution... Viens, on doit rentrer maintenant ! »
    Ils restèrent encore un long moment immobiles. Là. Étourdis. Devant cet engin improbable qui venait, à travers son symbole de mort, de leur redonner ce qu'ils avaient perdu depuis si longtemps : l'espoir. La vie.

     


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  • 16

    Hannah referma la porte. Encore chou blanc. Elle ne travaillerait pas là non plus. Elle se demanda si sa décision d'arrêter allait la mener quelque part. Depuis trois mois qu'elle avait quitté le métier de récolteuse, elle ne se heurtait qu'à des portes fermées. La trahison de Luigi avait été pour elle un déclencheur. En voyant les souches saccagées, elle s'était rendue compte qu'à sa place elle aurait agi exactement pareil. C'est peut-être cela qui l'avait fait pleurer. Elle qui n'avait plus versé une larme depuis la mort de ses parents, ensevelis vivants dans leur galerie lors du dernier séisme. Elle n'était pas un monstre. Pas encore. Elle avait décidé de changer de vie avant d'en devenir un. Elle aussi.

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    Perdue dans ses pensées, elle n'avait pas remarqué qu'elle était suivie depuis une bonne dizaine de minutes le long de la galerie marchande suburbaine. Max finit par l'interpeler.
    « Hannah ? Hannah ! »
        Elle sursauta.
    « Doc... Qu'est-ce que tu fais par ici ?
    - Je te cherchais ! avoua-t-il.
    - Trois mois plus tard... Il était temps ! »
        Hannah hésita un instant à poursuivre sa route. Après tout, il avait fait bien peu cas d'elle depuis qu'il avait « tenu sa solution » ce sale goujat. Elle n'avait été qu'un mouchoir jetable. Et il l'avait au combien jetée dès qu'il n'avait plus eu besoin d'elle. Sentant le malaise s'installer, Max se risqua le premier.
    « Certaines minettes ont réussi à m'occuper l'esprit plus que je ne l'aurais pensé au départ.
    - Débile, va.
    - Jalouse ? Je retiens, je retiens...
        Hannah rougit légèrement malgré elle avant de se ressaisir rapidement.
    - Ta gueule. Qu'est-ce que tu me veux ? »
        Max redevint sérieux.
    - Si tu veux, j'ai quelque chose à te montrer.
    - Si c'est un plan drague... Laisse tomber ! lança-t-elle méfiante.
    - Non, c'est un plan botanique. Mais si tu as d'autres choses à faire...
    - C'est bon. Je te suis. répondit-elle légèrement déçue.
    - Je comptais sur toi pour m'emmener en fait !
        Le regard d'Hannah se ferma et sa moue se fit boudeuse.

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    - Putain, t'es chiant dans ton genre quand même.
    - Non, j'ai juste pas de véhicule, alors que toi oui ! Et puis ça fait deux heures que je te cherche dans toute la ville, j'ai mal aux pieds.
    - Ben tu vas encore devoir souffrir, vu que mon garage n'est pas tout près. Va pour le plan botanique ! »
        Ils roulèrent vers la sortie de la ville. Max ne disait rien, se contentant de lui donner des indications de direction. Au bout d'une heure, Hannah finit par craquer.
    « Tu m'emmènes où, bordel ! C'est encore loin ?
    - Je t'en posais des questions quand tu me faisais crapahuter je ne sais où pendant trois jours ? A ton tour maintenant de me faire confiance ! »
        Elle ne répondit rien. Elle détestait quand il avait raison.


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  • 17

    Enfin, elle sentit qu'ils approchaient du but : son acolyte avait un sourire qui illuminait son visage. Il la fit se garer en extérieur, sur un parking délimité par une haute clôture. Le ciel était d'un bleu azur. Toutes les personnes qui s'affairaient autour ne portaient pas de masque.
    « Viens ! » dit-il simplement en la prenant par la main. Il l'entraina vers un portillon qu'il déverrouilla à l'aide d'une clef électronique. Il la poussa devant lui.
    « Ouvre ! » l'invita-t-il.
        Elle obéit sans tergiverser, et resta bouche bée.
        Devant elle s'étendait un champ entier rempli d'arbustes presque aussi hauts que ceux de l'oasis. Sur certains, des bourgeons commençaient à poindre, prêts à fleurir.
    « Je te présente la Maximilianus Hannavensis !
    - De quelle couleur sont les fleurs ?
    - Aucune idée, c'est notre première floraison. Il nous faudra d'autres analyses sur ces fleurs pour voir si elles aussi ont des propriétés intéressantes. Il y a ici une bonne partie des bombes stockées dans la région. Nous les avons enterrées à l'exacte profondeur observée dans le blockhaus et accéléré leur germination à l'aide d'un engrais particulier que nous avons mis au point et qui reproduit, entre autres, les conditions d'humidité et de chaleur du bunker. Actuellement, les gouvernements des principaux pays ont acheté notre brevet pour planter des champs semblables aux abords de toutes les villes de la planète. Le monde entier se démilitarise. Dans cinq ans nous n'aurons plus besoin de masques à gaz. Nulle part. Un grand laboratoire médical tente actuellement des expériences avec l'écorce et le jus des fruits, pour faire avancer les recherches sur les greffes et les traitements des malades. D'autre part, tout un réseau commercial s'organise afin de proposer à la vente prochainement les premiers fruits qui nourriront la population.
    - Incroyable !
    - J'ai bien peur qu'il n'y ait plus beaucoup de farines « humaines » d'ici les prochaines années. Ni de récolteurs...»
        Hannah ne répondit rien, les yeux perdus dans cette étendue de verdure.
    - Tu te doutes bien que ce genre d'entreprise nécessite de la main d'œuvre...
    - Ça fait trois mois que j'ai abandonné la récolte. Trois mois que je frappe à toutes les portes pour essayer de me reconvertir. Quand tu m'as trouvée, je venais de me faire jeter une fois de plus. Si tu m'offres un job, je ne refuserai pas.
    - Alors je t'engage. On a besoin de monde pour enterrer les bombes et surveiller leur croissance. Mais te fais pas d'illusions sur le reste, je suis marié. »
        Hannah resta figée une fraction de seconde. Mais qu'est-ce qu'il croyait ce bellâtre à la noix?

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    - La malheureuse !
    - Oui surtout que cette petite imbécile vient d'accepter de se faire piéger comme la pauvre minette qu'elle est !
    - Pardon ? s'étrangla Hannah.
    - Boh laisse-tomber, s'esclaffa-t-il.
        Hannah ne sut pas vraiment comment réagir. Elle hésita un peu, entre accepter, refuser, se vexer, s'enthousiasmer. Ses émotions passèrent par toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Comme son visage. Alors elle regarda encore une fois la vaste étendue végétale qui se dressait face à eux.
    C'était donc ça la solution, c'est dans cet engin de mort et de destruction que l'Homme allait finalement trouver son salut. Redonner la vie à travers ce qui l'avait détruite, autrefois.
    L'ironie de ces situations étrangement combinées la fit éclater de rire.
    - Petit con va, et tu lui as donné ton nom en premier. Tu mériterais que je t'arrache les yeux ! »
        Il joignit son rire au sien et lui donna un bref coup d'épaule complice auquel elle répondit par un plus fort. Chacun allant crescendo. Juste pour voir lequel des deux tomberait en premier. Juste pour voir lequel des deux rattraperait l'autre avant sa chute.

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