• 05

    Il n’y avait cette fois plus aucune douceur dans ses gestes. Elle eut l’impression d’être un plat à gratin qu’il récurait à la paille de fer. Elle tenta tout d’abord d’exprimer son mécontentement, mais lorsqu’elle ouvrit la bouche, elle engloutit un demi-litre de savon. Donc elle se tut.
     


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  • 06

    La cible suivante fut ses cheveux. Il trancha dans la masse à coups de ciseaux, tant certaines parties étaient crêpées et irrécupérables. Il utilisa deux flacons de shampooing et la rinça en lui plongeant la tête dans la bassine, la maintenant fermement tandis qu’elle se débattait.
    - Tu cherches à me noyer ou quoi ! braillait-elle entre deux bouillons qui la nettoyaient du savon qu’elle avait encore dans le gosier.
    Il l’arrosa copieusement de vinaigre et d’essence de lavande (dans le doute, pour les poux), et termina par une cuillère d’huile d’olive afin de faire briller l’ensemble.
    Il la saisit des deux côtés de la tête, froissant la chevelure entre ses doigts.
    - Ca commence à prendre forme, constata-t-il fièrement pour lui même, sans prêter attention au grognement qui lui répondait.


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  • 07

    Puis ce fut le maquillage.
    Dans la cabine du Vicomte Ankor des Vents Changeants, Elros dénicha un trousseau oublié par l'une de ses innombrables maîtresses à la suite d’une soirée un peu arrosée. Fort de son trophée, il revint achever la transformation de Winona.
    Elle protesta une dernière fois avant qu’il ne lui ferme la bouche en pressant ses doigts sur ses joues pour lui appliquer le rouge à lèvres qu’il venait de choisir.


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  • 08

    C’était terminé.
    Il admirait à présent le résultat. Une fois rincée, une fois coiffée, une fois pomponnée, il fut presque étonné de découvrir qu’il se cachait une femme sous cette couche de suif qu’il s’était évertué à gratter. Une jolie femme qui plus est.
    Et c’était lui qui l’avait créée. Comme on sculpte une statue. Comme on peint un portrait.
    Il se laissa surprendre. Surprendre par le plaisir qu’il avait pris à la transformer, tout au long de cette après midi. Et par cette fierté qu’il en tirait.
    Il fit pivoter le fauteuil où elle se tenait toujours assise pour qu’elle puisse se voir dans le miroir qui se tenait près d’eux.
    - Vous voilà bien belle, madame, avoua-t-il tandis qu’elle ne reconnaissait pas.
    Elle n’était plus cette poupée qu’il avait manipulée avec si peu de manières.
    - Tu me vouvoies maintenant ?


    Elle se leva pour mieux se regarder encore. Gênée par l’image que ce miroir lui renvoyait.
    - C’est moi ! C’est moi ?
    Une image qui n’était pas la sienne. Elle n’était pas elle. Mais la jeune personne qu’elle voyait soudain à travers cette glace la flatta au plus haut point... Elle passa une main dans le chignon qu’il avait noué sur sa tête... Puis, elle chercha à retrouver les traits de son visage. Incapable d’identifier cette peau d’ivoire que la poussière avait dissimulé toutes ces années.
    - J’suis une lady ! se gaussa-t-elle avec un accent épouvantable.
    La réalité de sa voix et de ses manières retomba sur Elros comme une chape de plomb. Enveloppée dans ses guenilles déchirées, Winona avait un visage de princesse sur une allure de mendiante.
    - Hum, marmonna Elros, il y a encore du travail...
    - Qu’est-ce que tu dis ?
    - Je crois qu’il est urgent de faire quelque chose pour tes vêtements...
     


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  • 09

    Les semaines qui suivirent furent consacrées à l’éducation de Winona. Maintenant qu’il avait renoncé à l’idée de la rejeter dans le ruisseau, il fallait qu’Elros trouve un prétexte pour la présenter au reste de l’équipage. L’intégrer. Mais pour cela, il fallait qu’elle soit... Présentable !
    Elros lui apprit à s’exprimer. A se tenir. A danser.
    Il fallait coiffer Winona. Habiller Winona. Maquiller Winona.
    La jeune femme avait fini par se laisser apprivoiser. Elle restait enfermée  tant qu’elle n’était pas encore prête à se montrer. Elle ne voyait guère les nuages, la fenêtre de sa cabine ne donnant que sur les jardins intérieurs du vaisseau pirate. Aussi, chaque jour, lorsqu’il la rejoignait, elle commençait toujours par l’accueillir en lui demandant :
    - Emmène-moi à travers les nuages.
    C’était devenu sa façon de le saluer.
    Elros s’était habitué à la présence de la jeune femme. Elle était rapidement devenue un point d’ancrage, le seul élément stable qui rythmait sa vie entre les informations qu’il livrait à la police pour le compte du Capitaine des Jardins aux Oiseaux, et des rixes et autres fuites qu’il effectuait en compagnie d’Ankor.
    Retrouver Winona, assise dans la cabine, chaque jour, était un réel soulagement. Il avait son secret. Et doucement, l’air de rien, dans le charbon qu’il avait ramassé, il sculptait une comtesse, une duchesse. Avec la rigueur et le soin d’un horloger.
    Elle faisait partie de son paysage. De son quotidien. Il s’y était habitué.
    C’est pour cela qu’il était rentré plus tôt, ce jour là.
    - Winnie ! J’ai une surprise pour toi ! Ferme les yeux, veux-tu ?
    Elle obéit. Elle sentit ses mains lui nouer quelque chose autour de la tête. Un bandeau de cuir, dont la fraicheur s’imprima sur sa peau.
    - Tu me décoiffes, rit-elle.
    - Ouvre les yeux.
    Il portait des lunettes d’aviateur sur le front. Une brusque montée d’adrénaline parcourut la jeune femme en un frisson.
     


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