• 10

    - Je t’emmène à travers les nuages ? sourit-il en tordant malicieusement l’un des coins de sa bouche.
    Le visage de Winona s’illumina.
    - Par contre il faudrait que tu te changes, Winnie. Il est hors de question que tu viennes dans cette tenue.
    - Tu as quelque chose contre ma robe ? tiqua-t-elle.
    - Elle n’est adaptée ni au vol, ni à l’appareil que j’ai choisi. Ou j’emmène la robe, ou je t’emmène toi, mais il n’y aura pas de place pour les deux. Tiens, enfile ça.
    Il lui tendit une chemise et un pantalon.
    - Je ne suis pas un garçon ! Je garde ma robe. Je ne mettrai pas ça.
    Elle repoussa les vêtements contre sa poitrine.
    - Tu vas les mettre sinon je ne t’emmène pas, insista-t-il en lui recollant les habits entre les bras.
    - Non ! refusa-t-elle une nouvelle fois, persistant dans son manège.
    - Si, fit-il de même.
    - Non ! se mit-elle à rire.
    - Si, éclata-t-il franchement.
    L’échange se répéta ainsi cinq ou six fois, jusqu’à ce qu’ils en viennent à tirer plus fort... Puis plus fort encore.... Pour finir par basculer sur le parquet. Liés l’un a l’autre par le pantalon qu’ils n’avaient pas lâché.
    Et maintenant ils se regardaient. Essoufflés.
    - Vous êtes blessée, Madame ?
    - Je déteste quand tu me vouvoies, bougonna-t-elle.
    Ils ne riaient plus. Elle s’était penchée pour l’observer. S’assurer que lui aussi allait bien. Tout semblait suspendu. Plongé dans une attente. Il la contemplait. Il ne se lassait pas de la contempler. Il ne pouvait plus s’en passer. Elle était sa réussite. L’image parfaite dont il rêvait. Pris par le trouble de l’instant, il attrapa sa nuque dans sa main. Hésitant à la plier vers ses lèvres. Hésitant à avouer son moment de faiblesse. Elle ne bougeait pas. Poupée docile ployée près de son visage. Elle attendait. Ils attendaient. Chacun vivant du souffle de l’autre.
     
    Il se redressa.
    - Enfilez ça, Madame.
    Déçue, vexée même, elle lui arracha le pantalon des mains et se glissa derrière le paravent pour le passer. Sans plus un mot.


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  • 11

    Le silence se poursuivit jusqu’au décollage de l’appareil. Elros avait emprunté un petit avion à hélices qui contenait à grand peine un pilote et son passager.
    Et si Winona ne parla pas tout de suite, le mutisme qui les entourait s’était allégé avec l’altitude qui les soulevait. Il était désormais empreint de l’émerveillement de la jeune femme. Une vision magique qui la pénétrait au-delà de tout ce qu’elle avait imaginé.
    Il posa l’avion au sommet d’une falaise. Et ils restèrent un long moment assis, l’un contre l’autre à s’enivrer de l’air que le vent portait.
    Il l'enveloppa de ses bras.
    Elle ferma les yeux.
     
    - Respire, murmura-t-il, respire... C’était ce que tu voulais...
    - C’était ce que je voulais.
    Il resserra son étreinte. Elle se laissa bercer.
    - Est-ce que tu vas me présenter à l’équipage pour que je puisse rester ?
    Il mit un certain temps à répondre.
    Il dénoua ses bras des épaules de Winona.

    Il ne pouvait la conserver prisonnière plus longtemps. Surtout après ce parfum de liberté qu'il venait de lui donner.

    - Si vous le souhaitez toujours, Madame, s’inclina-t-il, vous êtes prête.


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  • 12

    Elros accepta donc de sortir Winona de l’ombre. Il profita d’une réception dans le dirigeable pour la révéler. Emporté par le mouvement de la foule, des invités, il n’eut pas même à justifier sa présence. Celle-ci se fondit naturellement au milieu de l’assemblée avec cette grâce qu’il lui avait enseignée. Elle parlait avec les mots qu’il lui avait appris à prononcer. Les attitudes qu’il avait su lui faire composer.
    Elle dansait.
    Depuis le début de la soirée elle n’avait cessé de danser. Accaparée par le Vicomte Ankor des Vents Changeants qui lui retenait valse sur valse, quadrille sur quadrille.
     
    Il avait crée une reine. Et il ne pouvait que la regarder s’éloigner. Dans tous les yeux des hommes qui la sollicitaient. La désiraient. Se félicitaient de sa douceur. De sa beauté.
    Et à chaque caresse qu’on lui donnait, chaque sourire qu’elle leur offrait. C’était Elros qui se déchirait.
     
    Mais que valait-il face à la lumière de ce monde dont elle avait tant rêvé ? Celui de la terre du haut. Il n’était rien. Elle se laissait porter par les pas du Vicomte. Blottie entre ses bras. Elle lui échappait. Elle l’oubliait, ingrate, à chaque pas de plus qu’elle faisait.
    Il ne souhaita plus qu’une chose. Les séparer. Aveugler Ankor pour qu’il ne puisse plus jamais poser l’œil sur elle. L’arracher. L’emmener. Il serrait les poings. Blessé.
     


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  • 13

    Il sortit sur la terrasse avant de commettre l’irréparable. Avant de se trahir. De se livrer en pâture pour un amour qui l’avait subitement submergé. Sans y être préparé.
    Alors il se mit à pleurer. Comme un enfant. Parce qu’il ne pouvait supporter de l’abandonner. Ainsi. Fini. Sur quelques notes de musique.
    Il pleura. Jusqu’à en tarir ses yeux. C’est seulement qu’il put se calmer. Et à travers l’air dominant de ce balcon qui surplombait la ville endormie, il put se ressourcer. Il y avait sa mission. Il y avait Bryce. Il y avait Ankor.
    Il regardait l’horizon d’un œil éteint.
    C’est là qu’il sentit la caresse de cette peau le long de sa main.
    Puis ces doigts, se tresser tendrement entre les siens.
    Un souffle chaud glissa sur sa joue comme une brise de printemps pour déposer  ces quelques mots dans son oreille.
    - Emmène-moi à travers les nuages...
     



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