• 25

    VII-1

    C'était Azra qui, sans tenir compte de ses protestations, l'entraînait à l'écart dans un bureau annexe et refermait soigneusement la porte derrière eux.

    - Quelle mouche t'a piqué ? J'étais en train de...

    - Il faut qu'on parle !

    - Et ça ne pouvait pas attendre deux minutes ? La rouquine-là – mince, comment s'appelle-t-elle déjà ? Vicky ? Oui, c'est ça, Vicky - était sur le point de me donner son numéro de téléphone...mentit effrontément Coriolan qui tentait vaille que vaille de rassembler les lambeaux de son ego en déroute.

    Azra croisa les bras de mécontentement et poursuivit assez sèchement :

    - Cassandre vient de partir...

    VII-2

     A ces paroles, le visage de Coriolan se crispa légèrement. Il n'en demanda pas moins sur le ton de l'indifférence feinte :

    - Et alors ?

    - Et alors... Vous allez encore jouer longtemps au jeu du chat et de la souris ?

    - Plaît-il ? Grinça l' écrivain avec ce mélange de hauteur et de suffisance que les autres jugeaient si exaspérant mais qui était sa manière, polie, de remettre à leur place ses interlocuteurs estimés trop curieux.

    - Tu as parfaitement entendu... Tu crois que je ne vous ai pas vus pendant la réception ? A vous éviter avec un soin tellement constant que la vérité s'est imposée d'elle-même à mon esprit ! Cassandre t'aime et tu aimes Cassandre.

    - Ridicule...

    - Ridicule ? Pas tant que cela... Je vous ai assez épiés dans la salle de réception : tu l'observais avec acuité quand tu la croyais distraite et Cassandre de son côté rivait sur toi des yeux adorateurs quand ton regard était occupé ailleurs... Quoique tu en dises, vos regards vous ont trahis !

    VII-3

     A cette tirade, les yeux de Coriolan s' étrécirent en deux fentes étroites qui ne laissèrent rien filtrer de ses pensées. D'un geste machinal, il sortit une cigarette de son paquet, la porta à ses lèvres. Il dut s'y prendre à plusieurs fois avant de réussir à allumer le briquet, tant et si bien qu'il tourna le dos à son ami pour lui cacher le léger tremblement de ses mains.

    Il ne voulait pas qu' Azra remarque son trouble.

    Il aspira une grande bouffée de nicotine, profondément, comme si sa vie en dépendait, puis recracha lentement la fumée.

    Le calme revint en lui.

    Il maîtrisait à nouveau ses gestes. Il maîtrisait à nouveau ses pensées. Tout ceci n'était que fumeuses allégations sorties tout droit de l'imagination trop romanesque de son meilleur ami. Oui, Azra se trompait. Il ne pouvait en être autrement.

    Il s'approcha de la fenêtre, posa son front brûlant contre la vitre.

    La pénombre avait envahi le jardin. Quelques lampadaires éclaboussaient de taches de lumière les trottoirs déserts. Au loin, un chien aboya. Il entendit distinctement le claquement de hauts talons s'éloigner dans la nuit puis entre-aperçut un large chapeau disparaître au coin de la rue. Cassandre...Pourquoi éprouvait-il cette douceur mêlée de douleur en évoquant son nom ?

    Azra, que le silence buté de son ami ne décourageait pas, décida de jouer son va-tout :

    - Coriolan, il faut que tu saches. Cici, c'était Cassandre en fait...

    Coriolan sursauta, comme piqué au vif. Un flot de sentiments contradictoires l'assaillit, mélange de colère et de trouble. Il se souvenait. Enfin, il se souvenait.

    Il n'avait rien oublié de leur première vraie rencontre, dans ce café fréquenté par les étudiants. Non, il n'avait rien oublié. Ni la curiosité teintée d'amusement face à son exubérance mutine. Ni la sensation d'être foudroyé sur place quand elle s'était approchée d'eux pour les inviter à sa table. Ni surtout le dépit qui avait suivi quand il s'était rendu compte qu'elle ne l'avait pas remarqué, dédaignant ses regards appuyés, trop occupée qu'elle était à attirer l'attention d'Azra. Il s'était alors effacé. Mais il n'avait pu l'oublier. Toujours, dans les premiers temps, ses conversations avec Azra revenaient sur elle : il ne pouvait s'empêcher de le taquiner sur son amoureuse transie jusqu'au jour où Azra avait maladroitement répété les paroles de la jeune fille.

    « 2426 »

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :