• Le cœur lourd d’ennui, Edward remonta la longue allée menant au manoir des Longwood. Il marqua un léger temps d’arrêt en arrivant devant la grande porte d’entrée. Il était encore temps de s’éviter cette soirée de fiançailles parmi la haute société britannique. Il y aurait même le prince William… Cette dernière pensée le fit frémir. Depuis son accident, il détestait les mondanités, les mariages et encore plus la présence des paparazzi. Il serait si bien chez lui, à Londres, à terminer sa dernière commande. La mélodie pour le final du film lui trottait dans la tête depuis une semaine, sans jamais le satisfaire.

     

        Non ! Charles était son meilleur ami et il avait promis d’être là pour ses fiançailles avec Alice Longwood. « Allez, courage Edward ! » se morigéna-t-il.
        Le jeune homme fut chaleureusement accueillit par Charles qui le serra contre lui, les larmes aux yeux. « Tu regrettes déjà ? » le taquina-t-il, ému malgré lui.
    « Idiot ! Viens, on attendait plus que toi pour faire la grande annonce ! »



        Edward suivit son ami et fronça les sourcils en écoutant le duc de Longwood pérorer sur l’amour et le mariage. Il savait qu’Alice et Charles étaient sincèrement épris l’un de l’autre mais il se demandait combien de temps ça allait durer. Et puis, tout ce qui intéressait ce vieux hibou de Longwood c’était l’union entre deux des plus grandes fortunes du Royaume-Uni… Et citer tous les gens célèbres qui lui faisaient l’honneur de leur présence ce soir. Lorsqu’il entendit son nom prononcé par le duc, il poussa un juron silencieux et se hâta de sortir sur la terrasse.



        Vieux hibou ou pas, ce Longwood avait quand même une belle demeure… Il fit quelques pas pour s’éloigner de la salle de réception puis s’avachit sur un banc, le regard perdu dans ses pensées. Des images de sa vie d’avant défilèrent dans sa tête. Son premier concert, le succès immédiat, les articles des critiques le consacrant à vingt-quatre ans meilleur interprète des sonates de Beethoven, et ses fiançailles avec Ludmilla, dans une soirée identique à celle-ci… Puis l’accident de voiture, sa main droite brisée, la fuite de Ludmilla… Ses cinq ans de dépression avant de se mettre à la composition…



        Il sursauta soudain, entendant les premières mesures de l’Appassionata. La colère envahit d’abord son cœur… Qui osait profaner ce morceau en sa présence ? Mais l’inconnu ne jouait pas du tout de la même manière que lui à l’époque… Il ferma les yeux, touché au cœur par cette sonate qu’il s’interdisait d’écouter depuis si longtemps, emporté par la passion…
    Comme envoûté par la virtuosité de l’interprète, il retourna lentement vers la salle où le pianiste avait réussi l’exploit de faire taire tout le monde.
        Lorsque le musicien eut achevé son morceau, un tonnerre d’applaudissement s’éleva tandis qu’Edward restait figé en croisant le regard de la pianiste, son esprit envahi par une mélodie enchanteresse. Il reprit ses esprits et s’avança vers elle. La jeune femme se leva et sourit lorsqu’il lui prit la main.



        Un an plus tard, lorsque Edward Richardson reçut l’oscar de la meilleure musique originale, il n’était pas à Hollywood, mais dans une petite maternité de la banlieue de Londres…


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