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  • 01

    Le pickup s'immobilisa devant le hangar. La poussière qu'il soulevait sur la piste avait prévenu de son arrivée : un homme d'une quarantaine d'années attendait devant la porte, une main en visière et l'autre ostensiblement posée sur l'arme qui pendait à sa ceinture. Hannah poussa un soupir. Avant de descendre de la cabine étanche, elle ajusta son masque.
    Foutu  job ! Foutue pollution! Foutu monde de merde !
        Elle avança de quelques pas. La densité de l’air était telle que, de là où il était, l’homme ne distinguait presque que sa silhouette. Fine liane noire qui se mouvait dans la masse compacte  de cette brume moite, épaisse et lourde. Cette brume éternelle, fardeau des vestiges des Hommes.

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    « Salut Luigi!
    - Ciao ragazza! Ma récolteuse préférée! Ça fait un bail qu'on n'a pas vu tes jolis yeux dans le coin. »
        Son sourire n'atteignait pas son unique œil mais il relâcha la tension sur son arme.
    « Tu n'as pas grand chose! » commenta-t-il en lui tenant la porte du sas de l'entrepôt.
        Un pli agacé tordit la lèvre d’Hannah. Ce n'était jamais bon pour elle et son compte en banque d'entendre Luigi attaquer comme ça.
    « OK, la cueillette est mauvaise. Mais en ce moment, avec la chaleur, les plantes ont du mal à pousser, et tu sais qu’il faut aller de plus en plus loin pour les trouver. Et qui dit plus loin, dit plus dangereux aussi. Alors aujourd’hui c’est une demi-caisse de menthe et deux de cactées. Dans la dernière tu as un vague stolon de fraisier, ou en tout cas d’une plante qui y ressemble...

    - Que dalle quoi! »

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  • 02

    Luigi inspecta les caissettes posées sur le comptoir d'un air dégoûté.
    « Je t'en donne 30 000 crédits, et encore... C'est bien grâce à ton pseudo fraisier, là ! »
        Hannah manqua de s'étrangler.
    « 30 000 ? Bordel Luigi, t'as pas la moindre idée du mal que j'ai eu à dégoter ça ! Si tu ne fais pas d’effort je vais aller demander à Tonio, je suis sûr qu’il sera plus conciliant. »
        Le receleur haussa les épaules.
    « Eh bien vas y voir le Tonio, que je rigole de ta déconvenue, ragazza ! La situation a évolué. Tes plantes, là, on en ferait même pas une salade ! La plupart d'entre elles sont dans un sale état en plus. Tout le monde m'en ramène, des saloperies de ce genre ! Ce qui paye vraiment, ce sont les gros modèles, genre des arbustes... Et crois moi, Tonio, les prendrait pas plus chères que moi, et tu sais pourquoi ?... »

        Il approcha son visage buriné du sien. Une haleine embrumée d’alcool de mauvaise qualité vint se mêler à la puanteur de l’air ambiant. 

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    « ... Parce que Tonio, l’autre jour, on lui a ramené un olivier. Un olivier tu entends ? D’au moins soixante-quinze centimètres de haut... Alors maintenant avec tes quatre feuilles sur des tiges molles, il te rirait au nez le Tonio ! »
        La jeune femme enfouit son poing dans sa poche pour ne pas le lui balancer dans la figure. Elle respira profondément.
    « Dis-moi Luigi... C'est quand la dernière fois que tu as vu une vraie plante enfouie dans la terre, avec ses racines ? Et la dernière fois que tu as bougé ton gros cul pour en ramasser une ?
        Il ricana.
    - Calme-toi ragazza ! On dirait que tu veux m'arracher l'œil qui me reste ! Déjà qu'il y voit pas très bien, tu ferais pas une affaire. Alors, 30 000, à prendre ou à laisser. »
        Hannah hésita un instant. Mais elle ne pouvait pas se permettre de refuser. Elle avait repéré quelques pousses prometteuses dans l'une de ses zones de prédilection. Il cracherait davantage la prochaine fois, peut-être suffisamment pour qu'elle puisse se tirer un peu plus loin.
    « Ça roule, mais le transfert se fait immédiatement.
    - Comme d'hab', ragazza ! »
        Luigi pianota sur son terminal et tourna l'écran vers elle. Elle hocha la tête après avoir vérifié.
    « C'est toujours un plaisir de travailler avec toi.
    Ciao, Luigi ! 

     

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    Un olivier, ragazza ! Un olivier ! » lui lança Luigi depuis l’entrepôt qu’elle venait de quitter.
            Elle donna un grand coup de pied dans une pierre qui roula plusieurs mètres plus loin.
        La nuit tombait doucement. Hannah rejeta en arrière les quelques cheveux blonds qui collaient à sa plaie encore fraîche. Elle tâta sa joue brièvement.
    « Il faudra quand même que je pense à désinfecter ça. » pensa-t-elle à voix haute avant de s'arrêter dans une ville dont la silhouette irrégulière déversait encore par endroits ses entrailles au milieu des quartiers meurtris. Traces indélébiles d’une guerre qui n’avait pas connu de fin.
        Une poignée de siècles s’étaient écoulés depuis le dernier bombardement. Celui qui avait pris en instantané la vie de la moitié de la planète, laissant l’autre orpheline et démunie, sans plus de force pour continuer la bataille ou même tenter de reconstruire les cicatrices béantes qu’il avait laissées. Elle ferma les yeux. Tout s'était lentement repeuplé dans des galeries creusées au fur et à mesure des besoins et à la force des bras. Des tunnels qui avaient finis par se rencontrer et créer un véritable réseau tentaculaire sous les paysages décharnés qui se dressaient encore à la surface. Une ville parallèle. Une vie parallèle. Une nouvelle façon de rebâtir une société écorchée vive. Vaste taupinière qui avait permis aux survivants de filtrer l'air ambiant et de vivre presque comme avant. Sans masque. Même s'ils restaient privés de la lumière du jour.

        Pour cette nuit, pas de bivouac, elle rêvait d'un bain et d'un repas conséquent. Demain, il serait temps de repartir à la recherche de l'or vert. 

     


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  • 03

    Background Dezzan on Deviantart - Pickup ferret stock on Deviantart

     

    Cela faisait plusieurs jours qu'Hannah s'enfonçait dans la plaine balayée par les vents. Harassée, elle enrageait de n'avoir pu dénicher ce fichu arbuste qui aurait rendu la monnaie de sa pièce à ce salopard de Luigi. Un soldat qui avait su transformer son art de la guerre en art de l'opportunisme. Il  avait vite compris que la solde de sa retraite militaire ne lui suffirait pas pour subsister dans ce monde meurtri. Voilà vingt ans qu'il s'était installé à New Port pour y créer son réseau de trafic de végétaux quand la ville commençait tout juste à redevenir une communauté digne de ce nom. Il avait été le premier à lui donner sa chance en tant que « récolteuse ». Ce qui ne l'empêchait jamais de profiter outrageusement de la situation. Et là, il la tenait un peu à la gorge...
        Comme chaque fois qu'elle venait dans le coin, l'espoir d'un retour à la normale se faisait plus fort, les herbes folles lui semblaient plus drues. Mais ces spécimens-là n'avaient pas la moindre valeur au marché noir. De la pariétaire officinale au liseron, les « mauvaises herbes » étaient bien les seules à continuer à prospérer sur toute la surface de la Terre à ce qu'elle en avait vu. Elle libéra un grognement en stoppant vivement son pickup sur le bord de la piste. Si elle allait plus loin, elle n'aurait pas assez de carburant pour rentrer.
    « Au point où j'en suis, autant inspecter ces foutues collines ! » marmonna-t-elle en s'équipant pour l'exploration. Elle devait être de retour à la dépanneuse dans trois jours maximum. Elle n'avait pas assez de vivres pour tenir davantage.

    Background ravenstock on Deviantart - Pickup ferret stock on Deviantart

     

     


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  • 04

    Elle remonta les bretelles de son sac sur ses épaules avant de gravir la petite butte terreuse qui lui faisait face. Elle marcha jusqu'à la nuit tombée. Bredouille. Pas un arbre vivant en vue. Seule une vieille souche vermoulue depuis des lustres l'avait narguée en début d'après-midi.
    Certains animaux avaient réussi à subsister péniblement en se nourrissant des quelques traces de  nature. Puisant l'eau et les ressources où ils le pouvaient encore. Un tronc déchiré, un trèfle jauni. Les pluies étaient devenues acides aux abords des villes ravagées à cause des retombées nucléaires. Des gouttes brûlantes, corrosives, qui avaient longtemps cuit le sol jusqu'à le rendre stérile. Alors les herbivores furent les premiers à disparaître, puis ce fut le tour des carnivores qui avaient survécu un peu plus longuement en s'entredévorant. Les zones suburbaines, comme on se plaisait dorénavant à les nommer, avaient appris à filtrer l'air, l'eau et confectionnaient de la nourriture grâce à une farine issue des bêtes encore élevées et des plantes encore cultivées dans des serres placées sous haute sécurité.
    De nombreuses rumeurs couraient sur cette farine. Certains prétendaient qu'elles étaient le produit de clonages douteux sur les animaux et végétaux qui étaient récupérés par les « récolteurs » et les « chasseurs ». D'autres certifiaient carrément qu'il s'agissait d'un recyclage d'humains décédés. Mais rien n'était vérifiable, ni fondé.
        Plus que deux jours. Elle monta son bivouac, avala lentement la mixture protéinée de sa ration de survie. Une impression lancinante d'urgence la poussait à avancer encore.  Quelques ilots de verdure avaient pu être recensés dans des périmètres plus ou moins éloignés des zones suburbaines, mais le manque d'essence, de matière première avait vite découragé les Hommes dans leur exploration de leur nouveau monde. Seuls les « récolteurs » et les « chasseurs » se risquaient à braver les orages de cendres et de soufre pour cueillir leurs rares trésors. Et encore pas trop loin. Dans la limite du raisonnable. Du viable. Pourtant Hannah le savait, elle en était même persuadée, il y avait des secteurs à découvrir. Surement plus grands et plus purs que ceux que tout le monde connaissait déjà et pillait régulièrement en se tirant gentiment dessus.
    « Bordel ! » jura-t-elle soudain.
        Au dessus d'elle, à travers le brouillard jaunâtre, un croissant brisé émettait une faible lueur blanchâtre.
    « La... Lune ? C'est impossible... »
        Un frisson la parcourut. Elle n'avait jamais ressenti une telle excitation. Si la Lune était visible, c'était que la couche de pollution s'atténuait. Elle resta longtemps le regard perdu dans la direction de ce minuscule symbole, qui portait sur sa surface l'ensemble des plaies que les hommes avaient ouvertes en y larguant leurs bombes. Jadis.
        Dès les premières lueurs de l'aube, elle était prête à repartir. Toute la matinée, elle grimpa avec une énergie renouvelée, le regard aiguisé, jusqu'à atteindre un col perdu dans la brume. Un cri  s'échappa de ses lèvres.
        Le brouillard s'était dissipé par endroits. Devant elle, telle une apparition miraculeuse, se dressait une vaste étendue de verdure comme si elle avait été préservée en secret depuis des siècles à l'écart des Hommes. Intacte et sauvage. Les deux hauts portiques qui en marquaient l'entrée semblaient êtres les gardiens de cet univers improbable. Il suffisait d'un pas pour basculer d'un monde à l'autre.

    Background inertiak and alfastock on Deviantart

     

    Au risque de se blesser, elle courut le long des marches de pierres irrégulières pour rejoindre la zone. Elle se laissa tomber dans l'herbe fraîche, encore mouillée de la rosée matinale, ses yeux bruns rivés sur un bosquet de quatre ou cinq arbustes d'une espèce inconnue. Le ciel était si bleu, l'air paraissait si pur, qu'elle se risqua à ôter son masque. Ses poumons s'emplirent d'un oxygène capiteux dans une grande et profonde inspiration. Elle ne suffoquait pas. Elle était toujours en vie. Elle put alors, le sourire aux lèvres, détailler la végétation qui l'entourait. A droite, elle reconnut un jeune pommier qui tendait ses premières branches vers la lumière. Elle tressaillit. Il était à la limite du transportable. Si elle parvenait à remonter au col avec, c'était bon.
    « J'ai hâte de revoir ta sale tête, Luigi! » exulta-t-elle.

    Background Flokvangar on Renderosity

     

    Avant de s'attaquer au petit fruitier, la jeune femme s'approcha des autres arbustes. Elle étudia de près leur écorce, leurs feuilles. Trois d'entre eux donnaient des fruits à la peau violacée et rugueuse. Elle tendit la main et en ouvrit un en deux. Le sirop s'écoula le long de son bras, s'irisant d'effets étranges sous la lueur du soleil. Elle sentit un infime picotement sur sa peau lorsqu'il atteignit une  plaie qu'elle s'était ouverte en trébuchant la veille. Sa chair rosée exhalait une odeur de miel qui aiguisa son appétit. Par prudence, elle n'osa pas le goûter. Elle sortit alors de son sac de quoi prélever des échantillons de feuilles, de fruits, d'écorce, et quelques surgeons à replanter. Déraciner le pommier sans l'abimer lui prit plus de temps, mais elle ne sentait plus la fatigue. La joie de sa découverte la galvanisait.


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