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  • Tout en jetant un regard à la pendule, Emmy poussa un profond soupir. À cette heure, elle aurait dû être étendue sur la plage de la Salice à Antibes, au soleil, en train de papoter avec ses amis, pour profiter de ses dernières vacances d’étudiante… Au lieu de cela, elle se morfondait dans un cabinet de notaire perdu au fin fond de Lyon, et sans savoir pourquoi !


        Elle songea à tout ce qui l’attendait après ses deux semaines de farniente : trouver un appartement à Roanne dans ses maigres moyens, et réussir les six mois d’essai dans l’entreprise qui l’avait embauchée comme ingénieur réseau… Si tout se passait bien, elle pourrait peut-être rembourser rapidement son prêt étudiant… Bref, elle avait un mois pour tout accomplir !
    « Mademoiselle Emilie Coulonges ? Entrez, je vous prie ! »
        Emmy pénétra dans le bureau en suivant le petit homme replet et s’assit dans le fauteuil réservé aux visiteurs. Décidément, elle songea que comme la salle d’attente, la petite pièce poussiéreuse appelait les pensées moroses. Comme le notaire face à elle rassemblait quelques papiers, elle s’irrita.
    « Dites, vous ne m’avez pas fait quitter la côte d’Azur en urgence pour que je vous admire travailler, si ? Qu’avez-vous de si urgent à me communiquer qui ne puisse l’être par téléphone ? »
    Le notaire s’autorisa un discret sourire devant l’impatience de la jeune femme.
    « Vous êtes la dernière héritière des barons de Marcigny, mademoiselle Coulonges. Et vu votre caractère, la digne descendante de votre arrière-grand-père ! »
    Emmy écarquilla les yeux.

    « L’héritière de qui ?
     - Du baron François-Marie de Marcigny. Le grand-père de votre mère. Il est décédé il y a trois mois, et vous êtes sa seule héritière.
     - J’ignorais que ma mère avait encore de la famille, vous êtes sûr de ne pas faire d’erreur ?
     - Sûr et certain, mademoiselle. Votre mère a rompu tout lien avec sa famille suite à… un différend dont je ne connais pas la nature exacte. Mais le baron ne l’a jamais perdue de vue, lui. Il était d’ailleurs présent aux obsèques de vos parents, il y a cinq ans. »
        Emilie sursauta, la gorge serrée.
    « Mais pourquoi n’est-il pas venu se présenter ? J’étais si seule ce jour-là… »
        Le notaire haussa les épaules.
    « Parlons de l’héritage, si vous le voulez-bien.
     - De quoi s’agit-il exactement ? s’enquit-elle, un peu inquiète.
     - Tout d’abord, un petit manoir dans la Loire, dans un village à une trentaine de kilomètres de Roanne, quelques avoirs financiers puis un bijou que le baron souhaitait que vous ayez. Ce pendentif ne fait d’ailleurs pas partie de l’héritage, c’est une donation qui passe hors succession, et quelle que soit la décision sur le reste de l’héritage, il est à vous.
     - Un manoir ? souffla la jeune femme. Mais c’est impossible ! Et puis, je ne pourrais jamais l’entretenir… Sans même parler des frais de succession, des impôts… »
        Le notaire hocha la tête. Son client avait bien prévu les réactions de son héritière.
    « Parlons donc aussi des avoirs financiers : votre aïeul est issu d’une très riche famille, et il a suffisamment bien géré sa fortune pour qu’après que la succession soit réglée, vous puissiez faire face à tous ces problèmes pendant un certain temps…
     - Un certain temps… Non, c’est trop beau pour être vrai !
     - La seule condition, mademoiselle, est que vous viviez dans ce manoir pendant plus d’un an. Et ce n’est pas un  piège : votre grand-père aimait le confort moderne ! De plus, il avait transformé une partie de la demeure pour faire des chambres d’hôtes, ce qui lui permettait de payer l’entretien du domaine sans entamer le capital dont je vous ai parlé… Regardez-donc ! »


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  • Emmy tendit la main vers le dépliant et écarquilla les yeux devant la superbe demeure.


    « Comment pourrais-je refuser un tel héritage ? Mais… Il s’occupait de tout lui-même ? Quel âge avait-il ?
     - Il est mort à quatre-vingt dix-huit ans, mademoiselle ! Un couple de gérants s’occupe de la partie gîte. Vous pourrez contacter l’expert comptable qui s’occupe de la gestion de tout. Mais prenez le cadeau de votre grand-père. »
        La jeune femme ouvrit avec émotion l’écrin en bois verni et poussa un soupir devant le pendentif en or, formé d’une rosace finement ciselée, et d’une améthyste en son centre.
        Lorsqu’elle posa la main dessus, elle eut l’impression que le joyau était traversé d’un éclair et ressentit une étrange impression de chaleur.


    « Aidez-nous ! »
    La voix grave mais lointaine fit sursauter Emilie qui regarda fixement le notaire.
    « Vous avez entendu ?
     - Etendu quoi, mademoiselle ?
     - Cette voix étrange ! Qui disait "aidez-nous" ?
        Emilie eut l’impression de surprendre un frémissement sur le visage de l’homme de loi qui ne manifesta pourtant qu’une légère surprise.
     - Non mademoiselle. Je n’ai rien entendu. Mais vous savez, à l’étage du dessus vit une vieille dame qui met parfois la télévision un peu fort !
    - Vous devez avoir raison…
    - Alors, que décidez-vous ? »
        Emmy reposa le pendentif dans son écrin et hocha la tête. Elle avait l’impression que ses soucis de logement et de remboursement de prêt venaient de s’évanouir dans la nature !
    « J’accepte l’héritage. Quand puis-je m’installer ?
     - Dès que vous le souhaitez !  »


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  • 03

    La petite voiture d’occasion pénétra dans le parc et suivit la longue allée de platanes avant de se garer dans le parking des chambres d’hôtes. Emilie en sortit et regarda tout autour d’elle, un peu désorientée. Il y avait sûrement une erreur, ce domaine ne pouvait pas être à elle… C’était surréaliste !
    « Bonjour ! Puis-je vous aider ? Vous souhaitez louer une chambre ? »
        Elle se retourna pour voir sortir de la demeure une dame un peu forte qui s’essuyait les mains dans un torchon.

    « Bonjour madame… En fait… Je suis Emilie…
     - La fille de Cécilia ! s’exclama la femme l’air réjoui. Entrez ma petite ! Maître Hévrard m’a prévenue que vous veniez aujourd’hui ! Je vous ai tout préparé… Je suis Louise Joubeau, la gérante, et mon mari Henri doit revenir ce soir… C’est lui qui s’occupe des jardins, du potager et de la piscine !
     - Vous connaissiez ma mère ?
     - Bien sûr ! Elle a grandi ici ! Elle ne vous en a jamais parlé ? »
        Comme Emmy secouait la tête, Louise Joubeau poussa un grand soupir.
    « Allons, venez, je vous emmène chez vous ! Ici, c’est le coin des touristes ! Ce n’est pas que ce soit mal, mais… Vous avez votre appartement personnel de l’autre côté. Tout est équipé pour que vous puissiez vivre indépendamment de nous, mais votre place est toujours réservée à notre table d’hôte si vous le voulez ! »
        Emilie écouta distraitement le bavardage amical de la bonne femme, se sentant emplie à la fois de bonheur et de crainte en visitant la demeure qui n’avait pourtant rien d’effrayant ni de sinistre.
        Elle s’installa dans la chambre qui avait accueilli sa mère dans son enfance et déballa ses affaires avant d’appeler ses amis pour leur confirmer qu’elle ne redescendrait pas à Antibes. Mais étrangement, elle n’osa pas leur parler de sa nouvelle demeure, ayant envie de la garder pour elle seule quelque temps encore. Et puis elle voulait tout savoir de cette famille à laquelle elle appartenait. Pourquoi donc sa mère ne lui avait-elle jamais parlé de sa propre famille…
        Elle sortit le pendentif et le passa autour de son cou sur une impulsion. Elle s’observa devant le miroir, et se figea. Derrière elle, une silhouette masculine translucide venait d’apparaître, presque invisible mais suppliante. « Aidez-moi ! »

    Elle cligna des yeux mais sa vision avait disparu. Elle sentit ses jambes se dérober sous elle et s’effondra sur le lit, le cœur battant. Elle resta allongée quelques minutes avant de se secouer. « Un fantôme ? N’importe quoi ! s’exclama-t-elle tout haut. Je frôle l’hypoglycémie, voilà tout ! »
        Elle rangea soigneusement son pendentif avant de redescendre se régaler du repas préparé par Louise.
        Le mari de celle-ci sembla inquiet en la découvrant.
    « Henri était sûr que vous refuseriez de venir ! commenta la gérante.
     - Pourquoi refuserai-je un tel paradis ? s’étonna Emmy.
     - Alors votre mère ne vous a rien dit…
     - Tais-toi, Henri ! Cela ne nous regarde pas ! coupa Louise d’un air fâché. Un peu de tarte, Emilie ? »
        La jeune femme laissa la cuisinière la servir généreusement tout en se promettant d’avoir une conversation sérieuse avec son mari très rapidement.


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  • Dès le lendemain, elle le retrouva au fond du potager, en train de ramasser des haricots. Sans un mot, elle s’installa dans la rangée d’à côté et commença à l’aider. Lorsqu’ils eurent terminé, il se redressa en se tenant les reins et lui sourit.
    « Votre mère venait toujours m’aider quand elle était petite, elle aussi. Elle aimait tellement cet endroit!
     - Alors, pourquoi ma mère a-t-elle coupé les ponts avec son grand-père alors ? »
        Le jardinier soupira, jeta un coup d’œil vers la cuisine de sa femme et s’assit sur le banc.
    « Assieds-toi, petite ! j’espère que ça ne te gêne pas, que je te tutoie, mais tu ressembles tellement à ta mère, que j’ai l’impression de la retrouver. On a eu tant de peine quand on a appris cet accident… Enfin, elle a vécu heureuse, hein ?
     - Très heureuse avec mon père, je crois… Mais que s’est-il passé ici ?
     - J’espère que ça ne te fera pas fuir, mais si tu es là, c’est qu’elle ne t’a rien dit. Elle n’a pas eu le temps… Toutes les femmes qui héritent d’ici finissent folles… La mère du vieux baron s’est suicidée, ta grand-mère est morte dans un asile d’aliénés… Et ce n’est que la fin d’une longue série… J’adorerai te garder ici avec nous, mais je préférerais te savoir vivante et loin…



     - C’est une plaisanterie ! Et c’est pour ça que ma mère est partie ? Pour une histoire de… de quoi d’ailleurs ?
     - Ta mère est partie parce que le vieux baron a voulu lui transmettre l’héritage à la mort de Blanche, ta grand-mère. Il disait qu’elle aurait la force d’esprit de vaincre la malédiction… Ta mère a tenu quinze jours, puis elle a refusé de rester au manoir. Elle est partie faire des études et n’a jamais accepté de revenir ici.
     - C’est quoi, cette malédiction ? Qu’est-ce qui les a rendues folles ? »
        Henri baissa la voix, jetant un regard furtif autour de lui.
     - Il y a un revenant qui hante les héritières du château…  Si tu commences à entendre des voix, suis l’exemple de ta mère, et fuis loin d’ici… Laisse tout tomber ! Zut ! Voilà Louise ! Pas un mot de tout ça, promis ?
     - Promis… »
        Anxieuse, Emilie partit se promener vers le petit bois qui jouxtait la propriété. Toute cette histoire lui aurait semblé être un tissu d’âneries si elle n’avait déjà entendu cette fameuse voix… Et vu cette silhouette… Elle s’allongea dans l’herbe et ferma les yeux quelques instants.

    « Hé ho ! Réveillez-vous ! Tout va bien ? »
        Emilie ouvrit les yeux et se redressa avec difficulté sur les coudes.
    « Oups ! Je crois bien que je me suis endormie ! murmura-t-elle.
     - Et sur la propriété de mes parents ! fit la voix masculine rieuse derrière elle. Quel joli tableau d’ailleurs ! »
        Elle secoua la tête, l’esprit encore engourdi et observa avec attention l’inconnu qui lui souriait d’un air charmeur, adossé contre un arbre. L’homme n’avait sans doute pas plus d’une trentaine d’années et ses yeux gris pétillaient de malice. Il s’avança en lui tendant la main et elle la prit pour se relever.
    « Marc Masevaux, j’ai passé l’inspection ?
     - Tout à fait ! rétorqua-t-elle avec amusement. Vous n’avez pas l’air d’un croque-mitaine. Je suis Emilie Coulonges, je faisais le tour du manoir et j’ai bien peur d’ignorer les limites de ma nouvelle demeure.
     - Nous sommes donc voisins ! fit-il d’un air songeur. Vous êtes l’héritière ?
     - Et je n’ai pas peur des fantômes !
     - On vous a donc raconté la malédiction ? Et vous n’avez pas fui ? »
        Emilie éclata de rire.
    « En fait, on m’en parlé après que j’ai accepté de venir habiter ici… C’était trop tard, non ?
     - En tout cas, si vous voyez un revenant, faites moi signe ! Je suis historien médiéviste, et j’aurai des tas de questions à lui poser ! Bref ! J’étais venu porter "ça" à la vieille Louise de la part de ma mère… fit-il en désignant un panier de champignons.
     - Je lui donnerai si vous voulez ! proposa Emmy, et Marc accepta d’un air soulagé.
     - Merci beaucoup, aujourd’hui je suis très pressé, je dois ramener mes nièces à la gare. Elles ont quatorze et seize ans et nous en ont fait voir de toutes les couleurs ! Je suis bien content de les rendre à leurs parents ! Mais à très bientôt, jolie voisine ! »

    Il disparut dans le bois et Emilie secoua la tête : un héritage, une malédiction, un fantôme qui appelle à l’aide et un voisin charmeur… Et charmant ! Ça faisait beaucoup, quand même !


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