• 06

    Les deux dernières semaines de vacances d’Emilie passèrent en un éclair, Marc lui consacrant tout son temps libre. Pourtant, dès qu’elle s’installait tranquillement dans sa chambre, un étrange phénomène la poussait à ouvrir le coffret du pendentif et dès qu’elle l’effleurait, il se réchauffait, et la voix lointaine se faisait entendre. Le message lui semblait parfois très clair, un appel à l’aide triste et émouvant, et d’autres fois confus, comme si le désespoir empêchait l’être de parler. Son esprit cartésien se révoltait contre cette idée et elle n’osait pas en parler à son amant, persuadée qu’il la croirait folle et s’enfuirait immédiatement.
        Elle décida de faire des recherches sur la famille de Marcigny. Le fantôme, si fantôme il y avait vraiment, était sans doute issu d’une vieille histoire et pour lui rendre la paix, il fallait résoudre son problème !
        Elle commença par fouiller le vieux bureau de son aïeul, qui ne recelait que des documents administratifs récents, puis le grenier où au milieu de vieux cartons de vêtements qui feraient le bonheur d’une bande d’enfants à carnaval, elle découvrit un petit carton barré d’une inscription : Blanche.

    Le cœur battant, elle arracha le ruban adhésif et feuilleta les premiers dossiers, médicaux, qui témoignaient de la démence qui s’était emparé de sa grand-mère. Elle les rejeta de côté, rageusement. Puis, ensuite, des dossiers classés notés généalogie, archives… Il lui fallut plus d’une heure pour les descendre dans son séjour, elle verrouilla la porte, prévint Louise qu’elle se débrouillerait seule pour les repas quelque temps et éteignit son téléphone.
        Apparemment  sa grand-mère avait eu la même idée qu’elle et tout le travail de recherche avait été fait. Toute la généalogie de la famille Marcigny était établie jusqu’en 1258, date à laquelle leur valeureux ancêtre avait gagné sa baronnie. Il y avait de nombreuses annotations dans la marge, commentaires ajoutés par Blanche lorsqu’elle avait des détails précis sur les membres de la famille. Les premiers cas de folie recensés chez les héritières ou femmes d’héritiers dataient du quinzième siècle, mais plusieurs morts suspectes le siècle précédent  laissaient présager que la malédiction avait débuté avant.
        Emilie trouva aussi le journal de sa grand-mère ; atterrée par les inepties écrites à la fin, elle constata qu’elle avait vraiment fini par perdre la raison. Mais en remontant le temps, elle découvrit les derniers moments de lucidité. Blanche y expliquait qu’elle avait découvert des archives secrètes dans une cache du bureau du maître des lieux, dans laquelle se trouvaient de très anciens manuscrits en latin. Malheureusement, elle ne pouvait pas les traduire et les y avait laissé en attendant de trouver quelqu’un capable de le faire pour elle. La maladie lui avait fait oublier jusqu’à leur existence.

    « Emmy ? Emmy ! Qu’est-ce que tu fiches bon sang ? »
        La jeune femme leva la tête de sa lecture et sursauta en regardant l’heure : elle avait passé deux jours enfermée à compulser ces notes et avait complètement oublié son rendez-vous chez Marc. Il était onze heure du soir et vu le ton de sa voix, le lapin n’avait pas dû lui plaire. Elle ouvrit sa porte et la colère du jeune homme retomba en voyant son air exténué.
    « Emilie ? Tu es souffrante ? Je vais appeler…
     - Non ! coupa-t-elle. Je vais bien…
     - Et bien tu n’en as pas l’air ! Et notre rendez-vous ? »
        Se sentant un peu coupable, Emilie nota la tenue particulièrement soignée de son ami et baissa les yeux vers son affreux jogging.
    « Je suis navrée, Marc… J’ai voulu faire des recherches sur ma famille pour comprendre… d’où venait cette soi-disant malédiction…
     - Et tu es tombée sur des documents tellement passionnants que tu n’as pas pu les lâcher de la journée ? Je connais ça ! termina-t-il l’air rassuré. J’ai eu peur que… Bref ! Raconte-moi tout ! fit-il en s’installant dans le canapé du salon.
        La jeune femme se blottit dans ses bras et lui résuma les résultats des recherches menées par sa grand-mère.

    « Et selon elle, conclut-elle, le premier cas de folie était celui de Mathilde de Marcigny en 1378. Mais il lui manquait les détails de son histoire.
     - Ta grand-mère a mené des recherches très poussées pour une autodidacte… commenta Marc, fasciné par l’histoire. Mais… Hé, Emmy ! »
        La jeune femme se leva brusquement, et sans vraiment comprendre pourquoi, elle sortit son écrin du tiroir où elle l’avait enfoui et sortit le bijou.
    « T’y connais-tu en orfèvrerie ancienne ?
     - Un peu, de quoi s’agit-il ?
     - D’un pendentif qui se transmet de mère à fille. Ma mère l’avait refusé…
     - Montre-moi ! »
        Marc tourna le pendentif dans ses mains, concentré, et se pencha plus près, essayant de déchiffrer quelque chose.
    « As-tu une loupe, ou quelque chose d’approchant ? »
        Emilie chercha dans un secrétaire et lui tendit une loupe de philatéliste, ayant appartenu à son grand-père, le mari de Blanche qui l’avait fait enfermer. Marc s’en empara et frissonna.
    « Des noms y sont gravés : Hersande et Thibaut… Bon sang, Emilie ! Il faudrait le faire expertiser par un vrai pro, mais ce bijou date probablement de la période dont nous parlions tout à l’heure ! Je connais un certain nombre de collectionneurs, ou de conservateurs de musée qui seraient prêts à vendre père et mère pour l’obtenir !
     - Je ne veux pas le vendre ! » protesta la jeune femme qui tendit brusquement la main pour le récupérer. Son air soupçonneux fit éclater de rire Marc qui glissa le pendentif autour du cou d’Emilie avant d’embrasser le bout de son nez.
    « Hé, ne sors pas tes griffes, chaton ! Je n’en veux pas à ton héritage familial, mon salaire d’universitaire bien que modeste me suffit amplement ! C’était juste pour te préciser sa valeur ! Tu as l’air crevée, tu sais ? Si tu veux bien, demain je reviens t’aider à chercher ces documents dissimulés par ta grand-mère, et je les traduirai pour toi. Qu’en penses-tu ? »

    Emilie resta figée, pâle comme la mort, son regard clair fixé sur un point derrière Marc. La silhouette fantomatique familière venait d’apparaître et tendit la main vers elle. « Aidez-moi ! »  entendit-elle à son oreille, comme un léger souffle d’air, avant que la vision ne disparaisse.
    « Emmy, ça va ? J’appelle un médecin ? »
        Elle sursauta et reprit conscience dans les bras de Marc qui la soutenait. Elle enleva prestement le bijou et soupira.
    « Ce n’est rien ! C’est juste un étourdissement !  »
        Le regard clair du jeune homme l’étudiait avec inquiétude et malgré sa tendresse évidente elle n’osa pas lui révéler la vérité. Il insista.
    «  A quand remonte ton dernier repas ?
     - Je n’ai rien mangé depuis midi… avoua-t-elle.
     - Ne bouge pas, je vais nous préparer un en-cas. »
        Il se précipita dans la cuisine non sans lui avoir jeté un dernier regard réprobateur et elle se laissa aller dans le canapé les yeux pleins de larmes. Et si ce n’était vraiment qu’une divagation issue de son imagination ? Et si elle le perdait en sombrant dans la folie ? Lorsqu’il revint, elle se jeta dans ses bras et le serra fort contre elle.

    « Reste avec moi cette nuit, Marc !
     - Comment pourrais-je refuser une requête présentée si gentiment ! » plaisanta-t-il, malgré son inquiétude.

    « 05 07 »

  • Commentaires

    1
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    Lundi 23 Mars 2009 à 20:50
    Bah tiens comme si un mec pouvait refuser ce genre de proposition...
    2
    zohus
    Mardi 24 Mars 2009 à 17:32
    j'avais oublié qu'elle était si directe dis donc ! ^^
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