• 03

    La Comtesse Carolyn des Aiglefins.
    La plus tenace, la plus dure, la plus féroce de la bande de pirates qui peuplait les airs de leurs dirigeables corsaires. Flottant au dessus de cette atmosphère plombée. Noire. Etouffante d’une modernité que l’Homme n’avait pas su maîtriser et dont le développement incessant se répandait, tel un mycélium, sur l’ensemble des terres. Annihilant tout.
    Malgré la volonté de l’humanité de se percher chaque fois plus haut, le réseau obscur de vapeur, de charbon, s’étendait... Divisant ce monde en une terre du haut... Une terre du bas... Et rien ne devenait alors plus précieux que l’eau. L’air... Ces éléments qui se raréfiaient et que quelques uns avaient eu la présence d’esprit de recueillir. D’anticiper... Les rechercher à leur source, chaque jour plus loin encore... Dans ces ballons de contrebande où chacun s’alliait pour mieux se détruire...
    Carolyn des Aiglefins avait été plus que la première à exercer cette revente d’oxygène et de pluie qu’elle fournissait à prix d’or à ceux qui vivaient encore en bas. Carolyn des Aiglefins était la meilleure. Elle maîtrisait le ciel comme d’autres cherchaient à maîtriser le monde. N’ayant pour seul homme de confiance qu’un robot dont l’identité était définie par deux lettres et un numéro. RV1255. Des engrenages qu’elle préservait de la rouille avec une attention qui parfois frisait l’ambigüité. Plus qu’une machine, presque un compagnon.
     


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  • 04

    Tels étaient les éléments de sa légende. Celle d’une femme. Une femme rebelle. Une femme qui avait sacrifié sa beauté au service de la piraterie. Une femme dont la noblesse transpirait chacune des pores de sa peau... Et dont la seule vue inspirait d’elle-même le respect. La soumission... Selon les dires de ceux qui prétendaient l’avoir rencontrée.
    Un parfum de mystère l’enveloppait, comme la fumée des cigares dont l’odeur l’imprégnait jusque dans les boucles noires de sa chevelure.
    Capitaine des Inconscients...
    La Lady borgne...
    La défigurée...
    La Comtesse des fous...
    Il ne se comptait plus de surnoms qui ne lui avaient été donnés pour définir ce qu’elle était. Mais qui pouvait encore se gausser de l’avoir réellement vue... De l’avoir réellement connue...
    Aussi insaisissable que l’air dont elle avait fait son élément... Aussi éphémère que la fumée du tabac qu’elle laissait se consumer sur ses lèvres. Elle s’évaporait. Pour mieux recommencer...
     


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  • 05

    Bryce se souvenait clairement de la première fois où il avait vu Carolyn.
    Cette rencontre qui devait le changer à jamais. Elle l’avait façonnée. Elle avait fait de lui ce qu’il était. Plus encore, elle était une véritable raison de vivre. La seule.
    Il venait d’être nommé Capitaine de la police des airs et des frontières.
    Il venait d’effectuer sa première descente dans les bas fonds.
    Il venait de vivre sa première poursuite au milieu de ces pirates qui s’étaient éparpillés comme une volée de moineaux en le voyant débarquer avec ses hommes.
    C’est elle qu’il avait suivi.
    Il ignorait encore qui elle était.
    Il lui avait juste semblé, lâchement, que comme elle était une femme, il lui serait plus facile de l’attraper.
    Mais c’est elle qui s’était laissée prendre. Il ne le sut pas immédiatement, mais la suite lui prouva qu’elle s’était laissée prendre. Pour mieux le fuir. Se l’attacher.
    Sans doute curieuse de découvrir le visage de celui qui venait de remplacer le vieillard qui ne savait plus traquer que les grues et les goélands à travers les nuages. Celui dont elle n’avait entendu encore que le nom.
    Elle s’était arrêtée devant ce bâtiment. Au milieu de cette place. Elle l’avait regardé. Toisé même. A peine essoufflée. Avec ce regard pénétrant qu’il ne devrait plus jamais oublier.
    Elle était le vent. Le vent qui se laisse capturer l’espace d’un instant pour mieux vous enivrer. Pour mieux vous échapper.
    Et de sa bouche balafrée, elle fit naître un sourire.
     
    - Bonsoir, Bryce des Jardins aux Oiseaux.
    Ce furent là ses seuls mots.  Ces mots qui se ritualiseraient. Bientôt. Entre eux. Comme un code qui se garde en secret pour préserver un instant à la fois tendu et précieux. L’appel à l’intimité.
    Alors elle s’était approchée de lui. Si près qu’il avait pu sentir le parfum qui imprégnait sa peau. Celui de son souffle qui avait caressé sa bouche. Avant de  la voir s’enfuir au moment où il avait senti ses mains courir le long du corset brun qui laçaient finement sa taille. Sans pouvoir les retenir.
    Il y avait dans son œil unique une flamme qui lui avait fait comprendre à cette seconde la seule chose qui désormais les attachait l’un à l’autre.
    Il était aussi devenu sa raison de vivre.
    Il n’existait que parce qu’il était destiné à la pourchasser.
    Elle n’existait que parce qu’il allait la rechercher.
    Leurs destins venaient de se lier.
    Et ils savaient tous deux que le jeu ne faisait alors que commencer.


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  • 06

    Il était 15 heures précises lorsque Carolyn entra dans la Taverne des Moussaillons. Seule. Elle jeta un regard bref. Suspicieux. Qui balaya rapidement la salle d’un air faussement distrait.
    Ankor était là déjà. Près de la bibliothèque,. Dans un coin retiré des affres bruyantes et bourdonnantes des tables d’ivrognes et des rires saouls. Assis sur une banquette avec cet air arrogant et tellement sûr de lui qu’il aimait afficher.
     
    - Avez-vous apporté la marchandise, Comtesse ?
    Un rictus tordit la cicatrice qui barrait la joue de Carolyn. Sans un mot, elle sortit de sa besace quelques tubes de métal dorés et rouillés, grossièrement assemblés à l’aide de clous de tapissier. Ankor, observa le contenu de chacun d’entre eux sous la surveillance des hommes qu’il avait emmené. Concentrés qu’ils étaient à fixer le hublot qui perçait chacune des boites de métal pour y apercevoir la qualité et la pureté de la marchandise.
    - Votre prix, Madame ?
    - A celui habituel, j’y ajouterai un baiser, confia Carolyn, une aura narquoise bouillonnant au fond de son iris.
    Ankor étouffa un rire. Son œil aveugle l'empêchant alors de remarquer un fauteuil qui venait de se retourner devant la cheminée.
    Il s'apprêtait à payer le tribut que la Comtesse venait de lui imposer lorsqu’une voix par trop familière résonna à son côté.
    - Bonsoir, Carolyn des Aiglefins.
     
    Bryce se tenait dans une posture tranquille. Victorieuse.
    Les pirates disparurent rapidement à travers les pièces ouvertes de la taverne... Comme une trainée de poussière soulevée par les vents. Même si certains se firent cueillir par les policiers qui se mirent à émerger de tous côtés avec l’apparition du Capitaine au visage d'ange.
    Ankor, n’était nullement effrayé. Nullement inquiet. Il se courba galamment vers Carolyn et apposa un baisemain sur les doigts raffinés de la Comtesse...
    - Je règlerai ma dette, Madame... En son temps, soyez-en sûre...
     
    Il lui envoya un dernier regard empli d'un désir espiègle avant de s’enfuir.
    Carolyn commença alors à filer. Ecoutant les pas de Bryce qui la poursuivait. Plus proches. Elle s’engouffra dans un couloir sombre. Qui déboucha sur une pièce close. Sans porte dérobée, ni fenêtre. Une sorte de boudoir...
    Il apparut. Derrière elle. Elle ferma les yeux. Se laissant envahir par la sensation de sa présence silencieuse. Dans l’encadrement de cette porte unique. Au bout du corridor. Au bout de la course.


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  • 07

    Elle s’était arrêtée de courir. Une impasse. Une telle erreur ne lui ressemblait pas. Mais l’avait-elle réellement commise ?
    Elle se retourna avec un calme et une sérénité désarmants.
    Elle fit naître un sourire du coin rapiécé de sa bouche. Le regard pénétrant. Sauvage dans sa capitulation. Encore prête à fuir au-delà de ce corps immobile. Mais fuir à présent dans la direction qu’elle avait choisie de lui donner.
    - Bonsoir, Bryce des Jardins aux Oiseaux, glissa-t-elle.
     
    Sa voix était feutrée. Sensuelle. Fuyante. Les mots habituels se répandirent en Bryce comme une vague de vapeur qui l’enveloppait de sa fumée cotonneuse.


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