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    Le brouillard se levait à peine dans cette aube matinale. Il était resté debout contre le carreau de la fenêtre.
    Il regardait le ciel grisâtre et ressentait l'air humide qui gonflait cette brume. Encore une journée triste et ennuyeuse à mourir s'annonçait. Il décolla son front glacé de la vitre et laissa son regard tomber sur son lit vide. Il ne pouvait cesser d'imaginer la fine silhouette de Sofia, allongée paisiblement à ses cotés. Il avait encore l'impression de voir la forme de son corps dans ses draps.
    Il y avait un peu plus d'un an, un jour aussi gris que celui-ci, qu'elle était morte. Les routes étaient glissantes, ils venaient de se disputer, un chauffard avait brulé un feu. Il n'avait rien pu faire pour la sauver. Elle était partie alors qu'il allait lui faire sa demande en mariage, elle était partie et elle l'avait laissé seul avec son cœur brisé. Pourquoi avoir prit sa vie et épargné la sienne ?

    Les semaines et les mois qui avaient suivi l'incident n'avaient été que tourmente. Lui qui était d'un naturel si joyeux avait perdu l'essence même de la joie. Il ne savait plus ce qu'était rire, ni même ce qu'était un simple sourire. Ses amis, à présent tous perdus ou presque, avaient tout tenté pour lui redonner goût à la vie mais sans résultat. A ses yeux, il était le seul responsable. Ils avaient beau lui dire qu'il n'était pas Dieu et que rien n'aurait pu empêcher sa mort, il aurait dû la sauver. Si seulement ils ne s'étaient pas disputés, si seulement il avait fait plus attention, si seulement il était revenu à lui plus rapidement. Si seulement.
     

     

    Il se revoyait le visage ensanglanté contre le volant, le pars-brise entièrement craquelé. Sa vue était floue, il se sentait comme vidé de ses forces et lorsque la présence de Sofia lui était revenue à l'esprit, il était déjà trop tard. Il l'avait sortie de l'habitacle, l'exposant à une pluie que son veston tendu sur la portière peinait à filtrer. Sa respiration était difficile et son pouls faible. Ses côtes s'étaient brisées sous la force de l'impact et l'une d'entre elles avaient perforé un organe, provoquant une importante hémorragie interne. Il lui avait donné les premiers soins en attendant l'arrivée de l'ambulance mais elle s'était éteinte dans ses bras avant qu'elle n'arrive.

    Envahit par ce fantôme et ces souvenirs, il finit par commettre une erreur médicale grave qui faillit coûter la vie de son patient. Il fut immédiatement placé en examen et, le temps que celui-ci amène ses conclusions, il fut temporairement suspendu de ses fonctions de médecin. A la rigueur, pensait-il, ce n'était pas plus mal. S'il avait été incapable de sauver la seule personne qu'il aimait vraiment, comment aurait il pu secourir les autres ? Son habilité à soigner avait été enterrée avec Sofia.

    Depuis, il passait ses journées enfermé chez lui, ne sortant que pour faire de maigres courses où pour se rendre devant la commission d'enquête lorsque celle-ci le convoquait pour de plus amples investigations dans son passé médical, privé et psychologique. Mais aujourd'hui allait être une journée différente, une journée qui, bien qu'il l'ignorait encore, changerait le cours de son existence.

    Il venait de quitter la supérette lorsque une pluie torrentielle s'abattit sur la ville. Il se dépêcha d'atteindre le trottoir pour siffler un taxi mais aucun véhicule ne lui prêta attention, le dépassant en soulevant des gerbes d'eau qui le trempèrent en un quart de seconde. Non loin de là, une jeune femme quitta son arrêt de bus, un parapluie à la main. Alors qu'il s'énervait à lever la main dans l'espoir d'arrêter une voiture jaune, elle le tendit au dessus de lui.

     


    - Nous devrions nous mettre au sec, lui sourit-elle, il y a un petit café là-bas, continua-t-elle en l'indiquant du doigt.

    Sentant le froid s'imprégner dans ses vêtements trempés et ne rêvant que d'un endroit bien chaud, il ne put refuser. Mais, même s'il ne se l'avoua pas tout de suite, c'était la beauté naturelle de la jeune femme qui l'avait poussé à accepter. Elle avait quelque chose de réconfortant.
    Il s'assirent à la dernière table libre, les autres ayant été assaillies par tous ceux qui avaient eu, tout comme eux, la présence d'esprit de trouver un endroit à l'abris du mauvais temps. Il commanda un café et elle un chocolat chaud.

    - Désolée de vous avoir abordé ainsi, je n'ai pas l'habitude d'importuner les gens. Mais vous aviez l'air si...perdu.

     

    Il ne se vexa pas de sa remarque et prétexta être fatigué, surmené par son travail. Mais elle lut dans ses yeux qu'il mentait pour se protéger. Et il comprit rapidement qu'elle l'avait percé à jour. Mais ils continuèrent à discuter malgré tout, voulant préserver l'illusion d'une once de bonheur. C'est ainsi qu'ils commencèrent à se raconter leur vie idéale, jusqu'à ce que la pluie s'arrête.

    - Et bien, je crois qu'il est temps de rentrer, dit-elle simplement, en quittant sa banquette.
    - J'ai passé un agréable moment, dit-il en se levant lui aussi. Mais, je me rends compte que je ne connais même pas votre prénom.
    - Lucille.
    - Nous reverrons-nous Lucille ?
    - A la prochaine averse, sourit-elle.
    Et en un clin d'oeil, elle avait quitté le café.
     

     


    Depuis ce jour, il guettait la moindre goutte. Et, étant en automne, les occasions ne manquaient pas. C'était donc parapluie à la main, qu'il partait à sa rencontre. A chaque fois, elle l'attendait au café, à la table où ils avaient discuté pour la première fois. Des rencontres qui devinrent rapidement, comme une évidence, une douce habitude. Ils se voyaient régulièrement et, petit à petit, s'apprivoisaient mutuellement. Si de l'extérieur on devinait la naissance d'un nouvel amour, eux se contentaient de leur relation fusionnelle, entraînés par le jeu de leurs mensonges.

    Mais, au cours de l'une de ces journées de pluie qu'il guettait avec une impatience mal contenue, elle ne se présenta pas. Il l'attendit jusqu'à ce que l'établissement ferme, restant alors que l'averse avait cessé depuis plusieurs heures. Il avait demandé au barman s'il avait aperçu la jeune femme ou si elle lui avait laissé un message mais ce n'était pas le cas. Penaud, il était rentré chez lui, la tête remplie de questions. En avait-elle eu assez ? Etait-elle partie ? La reverrait-il ?

    Le soleil brilla toute la semaine, faisant la joie des uns et le malheur des autres. Son malheur. Et lorsqu'il plut enfin, il était dimanche, jour de fermeture pour la plupart des commerces. Il courut néanmoins jusqu'au bistrot, dans l'espoir de l'y voir, appuyée contre un mur. Évidemment, il n'y avait personne, sinon quelques passants qui couraient entre les gouttes. Le lendemain, à la première heure, il revint. Le ciel était gris mais il ne pleuvait pas et, pourtant, elle était là, accoudée au bar. Des signes qui ne trompaient pas, des signes qui lui disaient que quelque chose clochait.
    Il s'approcha d'elle, prêt à lui faire des reproches mais sa pâleur freina ses intentions.
     

     


    - Que se passe-t-il Lucille ? Tu es malade, affirma-t-il.
    - Livre moi ton histoire et je te dirai la mienne.

    Elle n'eut pas besoin d'en dire plus pour qu'il comprenne ce qu'elle cherchait à lui dire.

    - Je suis médecin, sur ce point là, je n'ai pas menti. Mais tout ne va pas aussi bien que je le prétend...

    Il lui raconta tout, Sofia, l'accident, sa dépression et sa mise en examen. Il ne dissimula aucun détail. Dès lors qu'il s'était mis à nu, Lucille lui révéla être en attente d'un cœur, le sien menaçant de se mettre en grève comme elle aimait à le dire. Autant en rire que d'en pleurer, telle était se philosophie. Alors qu'elle finissait son récit, une légère sonnerie se fit entendre. Elle plongea la main dans son sac et en sortit un bippeur.

    - Mon cœur est arrivé..., dit-elle simplement, les yeux toujours fixés sur le petit écran de l'appareil.

    Si la nouvelle semblait ne pas l'atteindre, peut-être ne parvenait-elle pas à réaliser, elle n'était pas tombée dans l'oreille d'un sourd. Sans crier gard, il attrapa le poignet de sa "femme au parapluie" et l'entraîna à l'extérieur. S'il n'était pas parvenu à sauver Sofia, il sauverait Lucille !
    La demoiselle s'était laissée faire sans un mot et était montée dans le taxi qu'il venait de siffler, direction l'hopital. Du café à la salle d'opération, plus une seule parole n'avait passé ses lèvres. Elle était comme paralysée. Lui, n'avait put que se résoudre à attendre.

    Trois mois plus tard, la vie avait repris son cours. Lucille était dans une forme olympique, il était presque impossible de deviner par quelles étapes difficiles elle avait dû passer. Désormais, elle partageait l'existence d'un médecin à la carrière momentanément chamboulée. Elle l'avait rencontré au fruit du hasard, par un beau jour de pluie.


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  • Notre histoire à Tim et moi n’avait pas de quoi passionner les éditions Harlequin. On ne risquait en effet pas non plus de nous arrêter pour « excès de romantisme sur la voie publique ». Non. Je l’adorais, il m’adorait…Mais ça s’arrêtait là.

    A vrai dire je me considérais chanceuse. Mes amies autour de moi étaient toutes empêtrées dans d’absurdes histoires sentimentales. Romantiquement et passionnément chiantes. Pouah ! Non franchement, j’avais la chance d’avoir un petit ami adorable qui menait sa vie comme je menais la mienne : Indépendamment l’un de l’autre.

    Pourtant, il y avait une petite voix au fond de moi qui me chuchotait des choses étranges... Et les Roméo et Juliette ? Et les Tristan et Iseult, les Rhett Butler et les Scarlett O’hara ? Bon… Fallait dire que tous ces abrutis d’amants éternels, j’en passe et des meilleures, avaient tous fini de manière plus plus ou moins tragique. Au moins,ça ne risquait pas de m’arriver. J’étais déjà bien assez gaffeuse comme ça dans la vie de tous les jours.
     
     


    Pourtant, je n’avais pas tout le temps pensé comme ça.
     
    Petite je m’inventais un monde imaginaire, où un amoureux m’attendait.
    J’en rêvais même la nuit. Toutes les nuits...

    Des rêves étranges, qui n’avaient pourtant pas influencé ma vie sentimentale actuelle.
     


    La sonnette de la porte d’entrée tinta, et comme d’habitude à cette heure là, c’était forcément Tim. Je me jetai sur la porte, l’ouvris à la volée et l’embrassai...

    Je fermai les yeux à m’en fendre les paupières. Pour oublier qu’il n’était que lui et pas un des héros de mon enfance.

    Je me blottis dans ses bras et je me sentis, à ma grande surprise, apaisée, et merveilleusement bien. Pour la première fois depuis des mois, en sa compagnie je me sentis…Légère. J’avais l’impression que
    tout s’effaçait, j’ai l’impression de fondre.

    Mais… Je ne reconnaissais pas sa manière d’embrasser. Ce n’étaient plus des lèvres molles qui m’embrassaient plus amicalement que passionnément. Ce n’était plus un baiser fiévreux qui précédait l’acte amoureux.

    Non, ce baiser là, était un cadeau du Ciel.
    Je ne comprenais pas.
     

    Et là… Vinrent ces images dans mon esprit. Ma tête qui tournait… Et ces milliers de sensations qui m’envahirent. L’impression d’avoir de l’or chaud qui coule dans mes veines, une envie brutale de me fondre à l’intérieur de sa chair… L’impression de ne faire qu’un, et pourtant être deux… et je… Oui je me souviens.




     
    Alors que j’ouvris les yeux, et m’attendis, médusée, à me trouver face à Tim, je fus finalement face à… Mon voisin de palier, aperçu par hasard tout à l’heure, alors qu’il prenait possession de son nouvel appartement.

    Complètement gêné, il se recula, et en me regardant dans les yeux, il me demanda :

    - On ne se serait pas déjà vu quelque part ?
     
     

    Et à nouveau dans mon esprit, défilèrent ces images, ces morceaux d’histoires… Vécues ou imaginaires ? Les mêmes que dans mon enfance.

    Et je compris.
    Je compris que rien n’avait de valeur sans risques. Plus on risquait gros, plus le bonheur était à portée de main. Et que parfois, il valait mieux tout perdre, plutôt que de s’enfoncer dans l’ennui. Après tout, peut être que c’était plus que des rêves.

    Il n’en restait pas moins que je venais d’embrasser à pleine bouche un type que je ne connaissais pas… Enfin pas dans cette vie apparemment. Et que… J’étais en train de me prendre les pieds dans mon tapis.




     
    - Pas encore…Ma voix n’était qu’un murmure.

    C’est le début. Ce n’est que le début. Je le sens.
    Et merde. Foutu tapis. Là j’ai vraiment l’air ridicule…

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                   (image et texte de SheZeve)

     

     

    Comme vous l'avez compris, ici c'est l'Atelier, et bien entendu nous postons nos créations écrites. Comme tout atelier qui se respecte, il existe la succursale, le coin secret et agréable où tous les matériaux et autres basiques sont conservés. Après que vous ayez visité l'atelier de l'Ecriture, nous vous proposons donc de jeter un oeil aux créations qui n'ont pas trouvé d'autre lieu pour s'échouer que La Bonbonnière.

    Chaque auteur a son coin privilégié dans cette bonbonnière. Vous pourrez ainsi découvrir :

     Les coulisses des nouvelles (photos non conservées, scènes entières coupées au montage - soit présentes à la nouvelle, ou en flashback/flashforward -, photos bonus des personnages dans de drôles de situations...)

    L'atelier secret des Images jolies à regarder et qui mettent en scène les sims (les montages, ou encore les fameuses images voulues artistiques, "professional pics")

    Des petits cadeaux pleins d'attention pour vous (personnages de nouvelle à télécharger, sims créés tout simplement par une de nous toutes, téléchargements personnalisés c'est-à-dire le partage de downloads faits par nous n__n...)

    Des vidéos

    Et sûrement beaucoup d'autres surprises  {#}

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    Vous pouvez soulever le couvercle

    Les calissons de Link

     

    Le nougat de Koe

     

    Les biscuits roses de Parthénia


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  • Voici donc les 9 copines de l'Atelier, qui vous accueillent avec plus ou moins de régularité ici pour vous proposer leurs histoires, leurs délires, leurs plaisirs.

    Saurez vous retrouver qui est qui  parmi Zohus, Enaya, Parthénia, Nienna, Finette, Link, Aziiat, SheZeve, Koelia ?

     

     Un petit jeu

    Un petit jeu

     

    Quelques indices pour vous aider à  nous retrouver :


    - La 1 a choisi un pseudo qui fait référence à  ses origines.

    - Parthénia porte des lunettes

    - la 2 est Belge

    - Nienna déteste l'odeur de l'encens qui a envahi la pièce.

    - Link a longtemps été surnommée Dark Vador dans le monde des sims

    - Zohus est entre SheZeve et Link

    - Koelia est brune

    - Enaya est entre les deux Marseillaises

    - la 9 adore les hommes aux cheveux longs

     

    Solution

     

    1 - Aziiat

    2- Finette

    3 - Koelia

    4 - Enaya

    5 - Link

    6 - Zohus

    7 - SheZeve

    8 - Nienna

    9 - Parthénia

     

    Bravo à Enorah, DarkZumel et Isis qui ont trouvé les 9 copines !

     

     


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  • Chanson qui a inspiré la nouvelle

     

     


     

    Le brouillard se levait à peine dans cette aube matinale. Il était resté debout contre le carreau de la fenêtre. Toute la nuit. Sans dire un mot. L’esprit apparemment aussi embrumé que la longue nuit qui venait de s’écouler. Mais quelques rayons de soleil tentaient déjà de percer les nuages, obstinément. Il se décida enfin à parler, comme s’il avait répété mille fois ces mots durant toutes ces heures, avant qu’ils ne franchissent enfin la barrière de ses lèvres.

     

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    - La vie continue, déclara-t-il gravement. Même si c’est fini, la vie continue… On n’a pas le choix, j’imagine. Enfin, moi, je ne l’ai pas. Tu ne me le laisses pas vraiment.
    - Je suis désolée, Pete. Tellement désolée. Je sais que tout ça paraît illogique, ridicule, démesuré… Mais je sens que c’est ce que je dois faire. C’est une intime conviction, comme si je n’avais pas le choix non plus, finalement. Ce n’est pas moi qui décide.
    - Arrêtes ! Arrêtes de fuir tes responsabilités en te cachant derrière ta sacro-sainte « intuition » ! Assumes tes choix pour une fois dans ta vie, b*rdel, Claire ! s’énerva-t-il.

    Autant il avait gardé son calme au début, autant, sa rage venait d’exploser dans sa dernière réplique. Une rage violente, imprévisible, que je ne lui connaissais pas. J’en avais tressailli. J’avais peur, désormais. Je savais que ma décision ne serait pas sans conséquences, qu’elle provoquerait une dispute, que ce serait un moment difficile pour nous deux. Mais je n’aurais jamais pensé éprouver de la peur.
    De la tristesse, oui, des regrets, évidemment. De la culpabilité, bien sûr. Mais je ne m’attendais pas à avoir peur. Je n’y avais pas réfléchi. J’aurais dû. Maintenant, j’étais pétrifiée. Pas tellement par ses cris, en fait, qui avaient été les premiers déclencheurs de ma peur, à la base. C’est vrai, ils ont agi comme un révélateur. Mais en réalité, ce ne sont pas eux, ni cette rage, qui me faisaient peur. C’était la suite.

     

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    Qu’allait-il se passer maintenant ? Je n’y avais pas songé avant de me lancer dans ce déballage d’émotions stupides, avant de lui annoncer cette décision que j’avais prise un peu sur un coup de tête et sans raison valable, il faut bien le reconnaître. Cette décision, fatale, n’en était que plus douloureuse.

    On s’installe dans une routine. On fait des projets à deux. La vie semble s’écouler comme un long fleuve tranquille. Et un fleuve, ça coule toujours dans le même sens. Ca ne remonte pas à sa source, ça ne change pas soudain de direction.
    Cela faisait trois ans que nous étions mariés, Pete et moi. Trois ans de complicité, de vie commune, de projets, d’envies à deux, de regards dans la même direction : celle de l’autre. Trois ans d’amour, sans une ombre au tableau. Quelques difficultés, comme tout le monde. Mais jamais une dispute grave, jamais de doutes nous concernant. Nous étions ensemble, c’est bien la seule chose dont nous n’avions jamais douté. Pas un instant, nous n’avions imaginé notre avenir différemment ou séparément. C’était une évidence.
    D’ailleurs, à cette époque, on ne divorçait pas. On n’y pensait même pas. C’était encore tabou. Bien sûr, tout cela était sur le point de changer. C’était imminent, même. Mais j’étais un peu en avance sur mon temps. A peine, mais déjà trop.

     

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    Et voilà qu’une autre évidence s’était imposée à moi la nuit dernière, de façon totalement incongrue, il faut dire. Un rêve. Très puissant, presque palpable. J’ai rêvé comme je n’avais jamais rêvé auparavant. C’était si réel. J’avais l’impression de vivre une prémonition ou quelque chose du genre. Je sentais que ça allait arriver dès mon réveil. Non, je le savais. Ces événements allaient se produire. C’était obligé.

    Je me suis réveillée au matin, fortement perturbée par ce rêve. Je suis partie travailler comme tous les jours dans cette grande banque londonienne. Ce rêve m’obsédait, j’y ai pensé sur le chemin, au bureau, à la cafétéria… Et c’est arrivé. Exactement comme dans mon rêve. J’avais cette impression de déjà vu, comme si j’avais déjà vécu ce moment. Je savais bien que je ne l’avais pas vécu, si ce n’est en rêve, la nuit précédente. J’étais un peu sonnée. J’avais l’impression d’assister à une scène, comme hors de mon propre corps. J’étais à la fois actrice et spectatrice.

     

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    Il était là. Au milieu de cette foule, sur le trottoir. Il y avait des centaines de passants qui se pressaient dans la rue à ces heures de sorties de bureau. Tous ces gens me semblaient flous. Lui seul était net, au milieu de cette foule. Je l’aurais reconnu n’importe où. Mais il n’y avait pas de doute possible, même le lieu était identique à celui de mon rêve. C’était lui.
    Il m’a regardé intensément. Comme dans le rêve. Un regard si profond qu’il vous transperce, vous cloue sur place. Vous ne pouvez plus vous en détacher, il vous hypnotise.

    Tout s’est passé comme dans le rêve. La prémonition. Je ne sais pas comment l’appeler. Une vision peut-être. Pas vraiment. Je l’avais déjà vécu en rêve cet instant. Je n’aurais jamais agi comme ça en temps normal. Je n’aurais jamais écouté mon intuition. Je sais qu’elle est là, qu’elle est puissante, mais je ne l’écoute jamais. Ensuite, je le regrette, la plupart du temps. Mais la fois suivante, je ne la suis pas pour autant.

     

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    Cette fois-ci, pourtant, le fait d’avoir eu cette « prévision » en rêve, m’a fait sauter le pas. Je savais comment cela allait se passer. J’avais envie de vivre cette expérience. Elle était si belle dans mon rêve. Si étourdissante. A en perdre la tête.
    Et c’est bien ce qu’il se passait : je perdais la tête. Je fichais en l’air trois ans de ma vie avec Pete, et toutes les années à venir avec lui. Je venais de faire voler en éclat notre univers. Et même bien plus que cela. Comme ça, sur un coup de tête. C’était de la folie pure. J’en avais conscience, et pourtant, je n’ai pas pu m’empêcher de suivre cette attirance, comme un aimant, pour ce total Inconnu. Juste parce que je l’avais déjà vu en dormant, et qu’il était apparu, tel la réalisation de ce rêve. Je ne sais quelle force me poussait à vivre cette aventure. Sans réfléchir, sans calculer, sans penser aux conséquences. Parce que sinon on ne vit jamais ce genre de situation. Et que j’en avais besoin. Moi. Moi la trouillarde du changement, moi l’adoratrice de la routine, celle qui déteste les mauvaises surprises, les prises de risques aussi minimes soient-elles.
    Je venais non pas de prendre un risque, mais d’abandonner tout ce qui était sûr et stable dans ma vie. En l’espace d’un instant. Tout ce que je connaissais était sur le point de disparaître pour laisser place à l’Inconnu.
    J’étais là, enfin je crois, sur ce trottoir, et j’embrassai l’Inconnu à pleine bouche. Au sens propre comme au figuré. Guidée par je ne sais quelle force, qui ressemblait surtout à de la folie.

    Et puis il avait fallu annoncer ça à Pete. Le soir, en rentrant. Je ne voulais pas que ça traîne. Ca ne pouvait pas attendre, il fallait qu’il sache. Je ne pouvais pas lui mentir, et je ne pouvais pas garder ça pour moi plus longtemps.

     

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    Il n’avait pas réagi. Il s’était appuyé contre la fenêtre et s’était muré dans ses réflexions toute la nuit. Après avoir cru à une mauvaise blague. Au début, j’essayais d’obtenir une réaction, mais je savais que je n’avais plus le droit d’exiger quoi que ce soit de lui. C’était normal.
    J’étais celle qui gâchait tout. J’étais celle qui avait renoncé à nous. Celle qui le trahissait. De quel droit le privais-je de tous ses rêves, son passé, son avenir ? Pour un moment de pure folie qui plus est, qui s’évanouirait sans doute aussi vite qu’il était venu.

    Alors oui, il avait raison, il fallait que j’assume. Même si j’étais morte de trouille devant mon propre « pétage de plombs ». Je lui devais au moins ça. Il fallait que je reconnaisse ma folie, que je le mette hors de cause. C’était déjà bien assez difficile comme ça pour qu’il ne prenne en plus une part de responsabilité qu’il n’avait pas là dedans.

    Encore tremblante, je déclarai :

    - Je te demande pardon, Pete. Je sais que je ne pourrai jamais réparer ça. Je nous ai brisés, j’en assume l’entière responsabilité. Je ne voulais pas que ça se passe comme ça, je n’avais pas planifié ce changement brutal dans ma vie… J’étais heureuse, ça aurait pu continuer…

     

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    - Alors pourquoi ?!
    - Parce qu’il le fallait. J’en avais besoin. J’en avais envie, confessai-je en me mordant la lèvre. J’avais envie de vivre autre chose, d’explorer de nouveaux horizons. La curiosité a été la plus forte, c’est tout.
    - Tu n’es ni curieuse, ni aventurière. Tu aimes ta vie bien rangée, pépère, les choses planifiées des mois voire des années à l’avance. Et tu me quittes pour un rêve ?!
    - Je sais.
    - Ca ne te ressemble pas, Claire. Ca n’est pas toi. Comment sais-tu que ça marchera, que tu te relèveras indemne de cette histoire ?
    - Je n’en sais rien. C’est ça qui est excitant et qui me pousse à tout quitter, avouai-je.
    - Tu as vraiment changé depuis que tu participes à tes réunions sur la condition de la femme avec tes copines hystériques là. Elles sont toutes seules ou maltraitées par leurs époux, je peux comprendre qu’elles veuillent se battre pour un meilleur statut dans la société, qu’elles luttent pour se faire une place. Mais toi, tu avais tout, tu ne manquais de rien. Je t’ai toujours respectée et aimée. Je t’ai apporté tout ce que j’ai pu, et cela te comblait.

    Je ne répondis rien, je ne pouvais qu’acquiescer. A ce moment précis, nous ne savions pas, ni l’un ni l’autre, que ces associations féministes allaient prendre autant d'envergure dans les mois et les années à venir, jusqu’à la fameuse révolution sexuelle et à la libération de la femme. Une grande page de l’Histoire allait être tournée, et j’y participais à l’époque sans le savoir. J’espérais juste que toutes les actions que nous menions serviraient aux générations futures. Je m'estimais chanceuse, mais certaines de mes amies étaient moins bien loties.
    Nous essayions d'avoir un enfant, avec Pete. Je ne voulais pas que ma fille connaisse le même sort que certaines de mes collègues. Je voulais qu'elle puisse vivre sa vie comme elle l'entendrai, qu'elle soit libre de ses choix, de ses actes et de son corps. Un vent de révolte et de soif de liberté s'apprêtait à souffler sur nos sociétés occidentales.
    - Tu n’es plus la même, constata-t-il, amère. Et tu es devenue folle, ajouta-t-il sur un ton froid, tout en retenue.
    - Peut-être. Mais je me sens tellement plus vivante depuis la nuit dernière.
    - Très bien. Puisque ta passion dévorante et tes rêves sont plus importants que notre réalité… abdiqua-t-il en quittant la pièce.

     

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    Il claqua la porte d’entrée. Je n’essayai pas de le rattraper. Que pouvais-je dire de plus ? Mon argumentation ne tenait pas la route. Il l’avait mis en évidence. Je le quittais pour un rêve. C’était absurde.
    Je repensais à mon baiser avec l’Inconnu. Un sourire se dessina sur mon visage ravi.


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