A la première heure, Hannah pénétrait dans le Centre, histoire d'aller faire le pied de grue et de lui montrer à ce sale petit...
    « Vous tombez bien, faut qu'on parle ! » surgit Max en la tirant par le bras sans plus de cérémonie.

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« Euuuhhhh... Bonjour docteur Stones... » se laissa-t-elle trainer trop stupéfaite pour réagir. Il la poussa dans son bureau et prit un bloc-notes.
« Bon, votre trouvaille, là, c'est un miracle! Un sacré bon Dieu de miracle! commença-t-il sans lui adresser le moindre regard. D'abord, la feuille. Rien que pour la feuille, ça vaut le...
- BONJOUR DOCTEUR STONES ! hurla-t-elle, furieuse d'être ignorée.
- Ah oui, bonjour...
- Et ça vaut quoi ?
- Pardon ? s'étrangla Max étonné de voir qu'elle ne partageait pas son enthousiasme débordant.
Il s'arrêta net.
- Ça vaut le détour, se piqua-t-il, mi-figue mi-raisin.
- Et moi je demande : ça vaut combien, monsieur le scientifique ? Parce que tout votre baratin là, je n'ai pas le temps de l'écouter, ce qui m'intéresse c'est...
- Votre petite personne, hein ? C'est ça, envoya-t-il un brin déçu. Je n'ai aucune idée de ce que ça vaut. Personne n'a jamais vu cette plante avant vous et moi et la moitié de la ville à laquelle vous l'avez montré sans succès. Par contre ce que j'en ai observé cette nuit, ça vaut bien plus que de l'argent. Mais ça, vous avez un ego trop énorme pour tenter de le comprendre ou même prendre seulement la peine de l'écouter. »
    Hannah hoqueta de stupeur. Bien plus profondément vexée que ce qu'elle osait l'avouer.

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- Laissez-moi vous dire, Docteur Stones...
- Vous m'avez forcé hier à vous écouter, m'interrompant dans une tâche cruciale qui fait avancer les progrès, la recherche et peut-être même l'avenir de l'humanité, vous m'avez limite ri au nez pour m'obliger à m'occuper de VOUS, de VOTRE découverte. Alors aujourd'hui c'est vous qui allez m'écouter. »
    Et il l'assit sèchement sur une chaise pliante qui prenait la poussière dans un coin. Trop interloquée pour riposter, elle se surprit à obéir.
« Ah, se rasséréna-t-il, bien, où en étais-je... »
    Max revint vers la table où il avait posé l'échantillon qu'Hannah lui avait laissé la veille et reprit le fil de son discours.
« Donc, bonjour. Les feuilles ont une propriété dont même vous pourrez rapidement comprendre l'intérêt. Elles semblent filtrer l'air ambiant, elles transforment l'ozone en oxygène. Je vous épargne la réaction chimique, dont je ne comprends pas moi-même tous les tenants et les aboutissants, mais bon au final, autour de ce petit miracle, on obtient de l'air respirable sans masque et de l'eau potable! »

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Hannah écarquilla les yeux, ce qui le rassura un peu.
« Que même moi je peux comprendre, bouffon, va! », pensa-t-elle.
« Pas complètement perdue pour la société. », se dit Max, persuadé que son étonnement était dû à l'annonce de sa découverte nocturne.
« Ensuite, les fruits. A moins que vous n'appréciez tout particulièrement les mixtures de farines fabriquées on ne sait comment avec on ne sait trop quoi...
- Vous ne connaissez pas les secrets de composition des farines de protéines ? Mais vous bossez au Centre !
    Elle était un peu déçue. Non qu'elle était réellement venue pour en apprendre davantage à ce sujet, mais le fait qu'il en parle avait soudain aiguisé sa curiosité, et elle aurait bien aimé confirmer ou infirmer certaines rumeurs sur la question.
- Je suis dans l'aile de développement, pas dans celle de transformation. Ce qu'ils font là bas personne ne le sait vraiment. C'est entièrement automatisé. Seuls quelques hauts dignitaires se passent le secret sous certaines conditions. Et, au cas où vous ne vous en seriez pas rendus compte, je ne suis pas un haut dignitaire. Par contre, les racontars je les connais, et comme vous je préfèrerais si possible avoir à éviter de les vérifier. Donc le fruit que j'ai étudié cette nuit présente des qualités nutritives exceptionnelles, en effet je n'ai jamais vu un aliment être aussi idéalement dosé en GLP.

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Devant son air interrogateur, il se sentit obligé de développer :
- Glucides-Lipides-Protides. Le cultiver permettrait sans doute d'arrêter cette production de farines litigieuses pour revenir à une alimentation plus saine et surtout dont on connait la provenance exacte. Même si sans cette farine, je l'avoue, nous ne serions là, ni vous, ni moi, pour poursuivre cette conversation. Ensuite, l'écorce, que j'ai aussi eu le temps d'étudier avant que la sécurité ne me prévienne de votre retour, l'écorce disais-je, a l'étonnante propriété de se régénérer très rapidement. Je pense que la recherche médicale pourra y trouver largement de quoi s'occuper... Imaginez les possibilités de greffes, de...
- J'ai remarqué autre chose, moi aussi, l'interrompit Hannah. Le jus. Le jus du fruit guérit.
- Comment ça ?
- J'avais une plaie ouverte, là. Quand j'ai ouvert un des fruits, le jus a coulé dessus. Le lendemain, ma plaie avait disparu sans laisser de... Hé ! Lâchez-moi !
    Max avait saisi son poignet et le détaillait sous tous les angles à la recherche d'une blessure encore fraîche dans la masse des anciennes cicatrices couturées qui lui cerclaient le bras.
« Impressionnant... Vous êtes particulièrement maladroite ou...
- Tout le monde n'a pas la chance de vivre planqué dans un labo ! »
    Max se pencha vers elle.
« C'est vraiment ça que vous pensez de moi? » s'amusa-t-il, un sourire ironique imprimé sur les lèvres.

Il ne lui laissa pas le temps de protester, il s'était redressé, totalement absorbé par l'exaltation de ses recherches et enchaina :
- Bref, j'allais analyser la sève avant votre arrivée fracassante, et commencer à chercher un moyen qui permettrait de faire reproduire et développer cette plante à un rythme plus industriel, il faut lui chercher un nom aussi, d'ailleurs, j'y pense... Tiens, puisque vous l'avez découverte, peut être qu'on pourrait l'appeler la...
Il s'arrêta net, coupé dans son élan par une évidence qui venait de le frapper.
- Merde ! Mais vous vous appelez comment au fait ?
- Hannah. grommela-t-elle de façon incompréhensible.
- Nana ? Bizarre, mais bon c'est pas de votre faute...
- HANNAH BORDEL ! HANNAH ! Avec deux H, vous êtes sourd ou juste con, à la fin !
- Hannah ? Ah ouais, c'est mieux. Mais apprenez à articuler Hannah, et vous verrez on vous comprendra mieux. Et pour vous répondre : je suis juste con.
    Ce fut trop fort pour elle. Elle n'avait pas l'habitude d'être ainsi tournée en bourrique et encore moins par un homme... La gifle partit toute seule.
- Et une fadasse, piège à minettes qui plus est, provoqua-t-il.
- Ben ça tombe bien parce que j'en suis pas une, de minette.
- Parfait, j'ai horreur de ça. Bon passons aux choses sérieuses : est-ce que vous pourriez revenir demain ? J'aurais fini les examens nécessaires et j'ai un plan dont j'aimerai vous faire part.

Le lendemain matin, Hannah n'avait toujours pas décoléré. Elle ronchonnait en marchant dans le long corridor souterrain du parking, incapable de comprendre comment elle avait pu se laisser traiter de manière aussi désinvolte. « Qu'est-ce qu'il s'imagine ce crétin? ». Pire, elle revenait !  Peu avant l'entrée du Centre, elle passa devant une silhouette sombre nonchalamment adossée contre le mur.
« Bonjour... »

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- Et en plus je me fais brancher par les pèquenots du coin ! C'est pas le jour, ducon ! »
    L'inconnu se redressa.
« BONJOUR HANNAH ! »
Non, pas lui ? Si. Elle était maudite !
«  Vous avez l'air de mauvaise humeur... Bref, on n'a pas toute la journée. On y va ? »
    Hannah le dévisagea. « On y va, où, exactement, doc ? Et c'est quoi ce... »
Il ne ressemblait plus du tout au petit scientifique mal attifé de ces deux derniers jours. Elle aurait presque pu reconnaître qu'elle le trouvait séduisant si ce gros balourd ne s'était pas empressé d'ajouter :
« C'est mon piège à minettes !

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- Pauvre con.
- Je sais. Puisqu'on en est aux mots tendres, on va se tutoyer, on aura moins l'air de vieux cons. Je dois voir ta découverte dans son milieu naturel.
- Non.
- Bon on continue à se vouvoyer alors, c'est ridicule mais c'est vous qui voyez, répondit-il en se dirigeant vers la dépanneuse de la jeune femme d'un pas décidé.
    Hannah ne bougea pas d'un pouce, le regardant s'installer côté passager. Elle agita les clefs du véhicule dans sa direction, l'air victorieux.
« Et tu comptes aller où comme ça ? »
    Max comprit qu'il ne s'en tirerait pas par une pirouette cette fois. Il redescendit du véhicule, plus aucune moquerie dans son regard.
« Écoute, Hannah. L'échantillon que tu m'as montré m'a été très utile mais j'ai besoin de voir l'arbre dans son milieu naturel. La bouture était conséquente. Seulement, je dois observer comment il pousse, comment il s'oriente au soleil, le type de sol qui lui permet de se développer, quelle influence il a sur la végétation qui l'entoure... Bref, tout ce qui est impossible à ramener dans le labo. Alors, tu m'emmènes?

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- J'y gagne quoi ? »
    Il soupira.
« Le plaisir d'avoir peut-être contribué à sauver de la dénutrition, de la pollution et du désespoir l'ensemble de l'Humanité. Tu ne mesures pas l'importance de ta découverte. Je te rassure, je ne la mesure pas non plus. Et c'est pour ça que j'ai besoin de toi. »
    Hannah baissa les yeux.
« Monte. Mais la prochaine fois t'essaieras de pas mettre les mêmes fringues que moi. »
    Soulagé, Max la regarda démarrer le pickup avant de lancer sa dernière flèche.
« C'est cool ! Je préfère aussi qu'on se tutoie. »
  

Dans la fournaise du milieu de journée, ils marchaient l'un derrière l'autre, d'un pas régulier. Depuis quelques heures, Hannah avait une impression étrange, comme une présence. A la limite de son champ de vision. Mais elle avait beau se retourner, elle ne voyait que son compagnon perdu dans ses pensées. Elle n'avait pas l'habitude d'avoir quelqu'un dans sa trace. Ce devait être ça.
« Un souci, Hannah ? s'enquit Max comme elle se retournait brusquement.
- Non, non... »
    Elle posa son sac  à l'ombre d'un rocher et lui tendit une gourde.
« Soif ?
- Merci. »
    Il enleva son masque et but une simple gorgée avant de lui rendre la bouteille. Hannah l'imita puis s'étira longuement pour soulager la tension de ses épaules.
« Marrant comme l'air est moins âcre dans le coin... remarqua-t-il distraitement. On est encore loin ? »
    Depuis deux jours qu'ils étaient partis, c'était la première fois qu'il lui posait la question. Étrange quand même ce type. Il prenait un malin plaisir à la mettre en boule, mais concernant l'organisation de leur expédition, il n'avait jamais fait la moindre remarque. Il avait acquiescé à tout. Ça changeait agréablement de tous les abrutis qu'elle avait croisés auparavant, qui s'imaginaient tout savoir mieux qu'elle, juste parce qu'ils étaient des hommes.
« Je pense qu'en fin d'après-midi, on atteindra le col. Tu veux faire une vraie pause ?
- C'est toi qui vois, Hannah. Mais personnellement, je n'ai qu'une hâte, y arriver. Surtout qu'on peut respirer librement maintenant ! »
    Ses yeux brillaient d'une impatience mal contenue. Un vrai gosse. A qui elle aurait promis un bonbon. Elle ne put s'empêcher de sourire.

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« T'es plutôt endurant pour un rat de laboratoire ! »
    Il lui fit un clin d'œil.
- Et toi plutôt serviable pour une mercenaire égocentrique. Ah ! Ton bon caractère m'avait manqué ce matin. J'ai même failli te demander si tu avais succombé au piège !
- Au piège ?
    Furieuse contre elle-même, elle se mordit la langue, devinant la réponse avant qu'elle ne jaillisse dans un éclat de rire.
- Au piège à minettes ! »
    Elle leva les yeux au ciel d'un air exaspéré en se remettant en route.
    Comme prévu, ils atteignirent l'oasis verte en fin de journée. L'air était si pur que Max sentit des larmes étrangler sa gorge d'émotion. Il s'agenouilla respectueusement devant le bosquet les yeux fermés.
« Tu pries ? finit-elle par lancer, étonnée. Ça, ce n'était pas du tout dans le style du personnage.
- J'essaye d'imaginer comment c'était avant. Quand à la place d'un buisson, le vent faisait bruisser les feuilles de dizaines d'arbres dans une forêt. J'ai honte d'être le descendant de ceux qui ont tout annihilé. Mais j'ai envie d'y croire... Tellement envie... »
    Il se redressa d'un bond.
« Au boulot ! »

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« Et merdeeeeeeeeeeeeee ! »
    Désabusé, Max se laissa tomber dans son siège, la tête entre les mains. Il n'en restait plus que deux. Nom de Dieu, elle était passée où sa main verte ? Cette nouvelle plante représentait un espoir tellement fort, qu'il ne pouvait se résoudre à abandonner, ni à sacrifier les dernières pousses.

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Il avait pourtant reproduit dans la serre des conditions strictement identiques à celles de l'oasis :  les températures étaient les mêmes, l'exposition aussi, la composition du sol... Les ramures récupérées étaient en parfait état. Et voilà qu'elles étaient mortes ! Qu'est-ce qu'il avait raté ? Tout, il avait tout mesuré deux fois pour être tranquille. Et il avait recommencé une troisième, par peur que la présence de « sa » récolteuse ne l'ait distrait à un mauvais moment. Sûr qu'il cherchait un moyen de la revoir mais pas à ce prix !
« Ça n'a pas l'air d'aller fort, doc ! »
    Tiens quand on pensait au loup... La jeune femme vint s'asseoir sur un coin du bureau.
« Salut Hannah ! Je...
- Tu ?...
- J'ai merdé ! Et je ne comprends pas pourquoi ? Ni comment !
    Vu sa tête, il était dans une rage folle, contre lui-même. Pour une fois, elle n'éprouva pas l'envie d'en rajouter.
- La plante miracle ? demanda-t-elle doucement.
- C'est un cauchemar, Hannah. Un cauchemar ! Dès que la première racine a pris, elles sèchent sur pied. En un éclair. Je n'ai pas dû assez creuser ce fichu terrain. J'ai été négligent...
- On y retourne quand tu veux, doc. Mon pickup est prêt. »

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Il leva sur elle ses yeux clairs. Elle refusa en bloc toutes les émotions qui la traversaient.
« Tu me changes ce regard fissa, je ne suis pas ta bonne samaritaine, ni quoi que ce soit d'autre, d'ailleurs ! Je repars en « récolte ». Je venais juste te prévenir. Alors là-bas ou ailleurs... »
    Il haussa les épaules.
« Comment refuser une proposition si courtoise ? Laisse-moi le temps de me changer, et on décolle.
- Te changer ? Tu peux y aller comme ça, y aura que toi et moi. Pas de minette à emballer dans mon coffre aujourd'hui, hélas !
- Je vois que tu as remis ta tenue sexy de la mort, alors je vais aller remettre aussi la mienne. Elle doit être sèche. Tu avais eu l'air d'apprécier la dernière fois, bondit-il malicieusement vers la porte. »